Le régime français du droit des émissions obligataires vient d’être réaligné sur les pratiques internationales du marché et la souplesse de fonctionnement des crédits bancaires syndiqués.

Prise en habilitation de la loi Sapin II, l’ordonnance du 10 mai 2017 tendant à favoriser le développement des émissions obligataires autorise la création d’un régime spécial de représentation des créanciers pour les émissions réservées à des institutionnels. Pour faire court, le droit français n’opérait pas de distinction selon que l’émission était souscrite par des particuliers ou par des investisseurs qualifiés. Ainsi, les dispositions relatives à la masse obligataire, aux représentants de la masse, et aux assemblées générales, étaient identiques. « Ce formalisme était particulièrement handicapant lors des restructurations de dette d’un émetteur ou tout simplement en cas de non-respect des engagements contractuels, conduisant les porteurs obligataires à ne donner leur avis que par un vote positif ou négatif, sans participer aux négociations ou tout au moins très tardivement », soulignent Gilles Saint-Marc et Hubert de Vauplane, associés chez Kramer Levin.

La réforme offre la possibilité de déroger en tout ou partie au régime général pour les émissions d’obligations dont la valeur nominale est au moins égale à 100.000 euros. Dans ce cas, les règles de quorum et de majorités pourront être librement fixées. Il sera possible de s’exonérer de la majorité des deux tiers et de définir des règles de majorités et de quorum en fonction de la nature et l’importance des propositions soumises, comme c’est aujourd’hui le cas dans les crédits bancaires syndiqués. L’ordonnance prévoit que les obligataires pourront de surcroît déroger à l’obligation de constituer une masse et de désigner un représentant de la masse. Ils seront alors représentés par un mandataire de leur choix. « Jusqu’à présent, les différentes masses d’obligataires ne pouvaient pas délibérer au sein d’une assemblée commune. Désormais, si les modalités des obligations le prévoient, les obligataires de différentes souches pourront se réunir au sein d’une même assemblée pour voter », relève dans une note de synthèse Louis de Longeaux, responsable de la pratique Banque & Finance chez Herbert Smith Freehills. « Il en résulte que pour les obligations cotées et pour la plupart des placements privés, la liberté contractuelle prévaudra pour l’organisation de la représentation des obligataires », ajoute-t-il.

En pratique, les créanciers obligataires pourront organiser les choses sur un mode proche de ce qui prévaut pour les créanciers bancaires. Ces avancées ne profiteront hélas qu’aux émissions futures. Pour en faire bénéficier les émissions en cours, une modification des termes et conditions des obligations sera nécessaire suivant les procédures existantes.

Assouplissement des modalités d’émission

Constatant la difficulté de faire signer la documentation nécessaire pour réaliser une émission par les dirigeants de l’entreprise, souvent en déplacement, la réforme autorise le conseil d’administration ou le directoire à déléguer la réalisation de l’émission à toute personne au sein de l’entreprise. Par ailleurs, l’ordonnance prévoit que les sociétés bénéficiant de la garantie d’une société (leur maison-mère) ayant établi deux bilans régulièrement approuvés par les actionnaires peuvent déroger à une vérification de l’actif et du passif par un commissaire désigné en justice. « Cette procédure génératrice de frais et de délais supplémentaires était considérée comme un handicap, notamment en matière de financement de projet », explique Louis de Longeaux. « Des filiales d’un groupe peuvent désormais se financer par elles-mêmes, à moindre coût, sans devoir passer par l’intermédiaire de leurs sociétés mères », remarque Hubert de Vauplane.

Assemblées générales

La réforme assouplit également les règles de convocation, de quorum et de vote des assemblées d’obligataires, indispensables en cas de demande de waiver notamment. Il pourra ainsi être dérogé au délai de préavis de 15 jours et la convocation pourra être envoyée par e-mail ou notification du système de clearing. Le contrat d’émission pourra prévoir que les décisions de la masse des obligataires peuvent être prises à l’issue d’une consultation écrite (donc sans présence physique des obligataires), y compris par voie électronique. Par ailleurs, pour le calcul du quorum et de la majorité, les obligataires qui participent à l’assemblée par visioconférence ou par des moyens de télécommunication permettant leur identification pourront être réputés présents.

Sûretés

En conformité avec le droit de l’Union Européenne, le représentant de la masse pourra être un ressortissant européen (ou ayant son domicile dans l’Union Européenne) et non plus seulement français.

Il pourra déléguer ses pouvoirs de représentation à tous tiers (sous réserve des exceptions de conflits d’intérêts et de condition de probité) et par exemple à l’agent des sûretés en cas de financement assorti de suretés mixant dette obligataire et dette bancaire. « Ces nouvelles dispositions vont ainsi permettre de résoudre les difficultés pratiques que nous rencontrons lorsque prêteurs bancaires et obligataires sont amenés à partager des sûretés », fait valoir Louis de Longeaux.

Enfin, l’ordonnance facilite considérablement la prise de sûretés réelles au profit de la masse des obligataires, que ce soit pré ou post émission. « Les dispositions de l’article L.228-79 alinéa 2 du Code de commerce qui prévoyaient la constatation dans un acte authentique, par le représentant légal de l’émetteur, du résultat de la souscription à l’emprunt obligataire dans les six mois de son ouverture sont abrogées ; et l’article L.228-80 du Code de commerce réécrit précise que les modalités de mainlevée des sûretés accordées aux obligataires pourront être déterminées dans le contrat d’émission. Cette faculté permettra notamment une gestion plus efficace des cas et conditions de mainlevée lorsque les sûretés sont partagées entre plusieurs créanciers », note Marc-Etienne Sébire, avocat associé responsable Marchés de capitaux chez CMS Francis Lefebvre.

Remerciements à CMS Francis Lefebvre, Herbert Smith Freehills et Kramer Levin

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