Quelques sociétés des secteurs de la transition énergétique et de la tech ont récemment démontré qu’il était possible de bousculer les schémas d’analyse crédit établis pour obtenir un financement bancaire à un stade précoce de développement. Comment ? En étant pédagogues sur les éléments clés rendant leur signature « bankable », mais aussi grâce à leur connaissance fine des banques et à leur capacité à trouver des soutiens de poids en leur sein, écrivent Sébastien Loison et Harald Aschehoug, conseils en financements chez Redbridge.

La chose est entendue. L’évolution vers une économie plus durable et respectueuse de l’environnement, matérialisée par des objectifs ambitieux en matière de promotion des énergies renouvelables, exige des investissements substantiels. Le commissariat général à la stratégie et à la prospective – France Stratégie – estime qu’à horizon 2030, le respect des engagements climatiques de la France nécessitera d’investir quelque 100 milliards d’euros supplémentaires chaque année dans la transition énergétique. Si les pouvoirs publics ont bien prévu un soutien pour accélérer la transformation des secteurs clés de l’économie, à l’image du plan d’investissements France 2030 de 54 milliards d’euros sur cinq ans, les start-ups et les PME/ETI novatrices se voient néanmoins confrontées à la question de leur accès aux financements privés. L’enjeu de cette réflexion ? Se donner les moyens de mener à bien leurs plans de développement, dans un calendrier souvent serré.

Et pour cause, la donne change sur le front du financement de la croissance des plus jeunes pousses. Schématiquement, les prêteurs dimensionnent traditionnellement leurs concours sur la base des activités établies – souvent limitées pour ces sociétés-, tandis que les actionnaires sont mis à contribution pour financer le développement pur. Or, à l’heure où l’ambition collective est à l’accélération des investissements pour atteindre des objectifs sociaux essentiels, les levées d’equity marquent le pas. Selon le baromètre des levées de fonds In Extenso Innovation Croissance, ESSEC et France Angels, les entreprises françaises et européennes du secteur de la technologie ont levé respectivement 6,8 et 39,5 milliards d’euros au cours des neuf premiers mois de l’année. Par rapport à 2022, ces montants sont en chute de respectivement 41% et 36 %. « Le marché des levées de fonds depuis le début de l’année 2023 est marqué à la fois par une crise du financement résultant d’un fort recul des méga levées, ainsi que par une réallocation des fonds vers l’amorçage, les technologies de rupture (deeptech) et quelques secteurs stratégiques, telles que la cleantech (énergie) et la santé », souligne le baromètre.

Face à la volatilité, et la versatilité, du marché du capital croissance (growth equity), l’endettement bancaire permet de consolider le volet financier des plans de développement des entreprises en croissance.

Convaincre sur la génération d’ebitda

Obtenir des financements bancaires reste souvent compliqué pour nombre de sociétés dont la profitabilité future reste à établir. Il est vrai que le profil de crédit d’une société prometteuse, avec un modèle d’affaire clair et une technologie éprouvée mais nécessitant d’importants investissements avant le décollage de la génération de cash, ne correspond guère aux critères normatifs des établissements de crédit. Les échecs de telles levées de dette ne sont généralement pas rendus publics, mais les décisions des comités de crédit parlent d’eux-mêmes : « pas convaincus de la génération d’ebitda futur », « trop tôt dans le développement de la société », « n’est-ce pas plutôt le rôle de l’equity ? ».

Pourtant, il est permis de solliciter avec succès les banques à un stade précoce de développement, en amont des mises en place de financements d’actifs – solution réservée à des projets ayant atteint une certaine maturité et dont les principaux risques de développement et de rentabilité ont été évacués. Quelques sociétés des secteurs de la transition énergétique et de la tech ont récemment réussi, en faisant preuve d’ambition, de méthode, d’anticipation et de transparence, à bousculer les schémas d’analyse crédit établis. Comment ? En étant pédagogues sur les éléments clés rendant leur signature « bankable », mais aussi grâce à leur connaissance fine des banques et à leur capacité à trouver des soutiens de poids en leur sein.

Suivant le même esprit qu’une levée de fonds propres passe par une « equity story » convaincante, une « credit story » réaliste, argumentée et percutante doit démontrer une probabilité acceptable de remboursement fondée sur la capacité de l’entreprise à croître rapidement et à rembourser ou refinancer le crédit à moyen terme. Les banques acceptent de laisser deux ans, rarement au-delà, à l’emprunteur pour dégager un ebidta positif.

Cela implique que la technologie sous-jacente soit opérationnelle et entrée en phase de déploiement commercial et industriel, par exemple avec des premières unités déployées permettant de générer des revenus. Les biotechs, qui concentrent le gros de leurs dépenses d’investissement en phase de développement d’un produit, sont par nature exclues de ce schéma.

Par ailleurs, les banquiers exigent que les besoins initiaux de liquidité soient couverts par les fonds propres déjà levés par l’entreprise. En conséquence, le rôle de l’endettement bancaire sera plutôt considéré comme celui d’un complément aux fonds propres. A cet égard, une chronologie adéquate des levées d’equity et de dette reste un élément clef.

Pour crédibiliser le business plan et pointer nettement le basculement vers une rentabilité positive et durable, le dossier doit finement détailler les projets de l’entreprise en mettant l’accent sur leurs maturités et les risques d’exécution. Cette granularité permettra à chaque banque d’évaluer la capacité d’endettement de la société sur la base des projets les plus certains.

Transparence et fermeté

Autre élément essentiel d’un business model, souvent négligé dans l’analyse crédit : la valeur de l’optionnalité, c’est-à-dire la capacité de la direction à ajuster sa stratégie. Cette optionnalité peut prévoir de freiner certains investissements pour ménager la liquidité, d’ouvrir le capital portant sur des actifs en développement pour faire face à des besoins de cash, etc. A la main du management, ces options, pas toujours évidentes à quantifier renforcent le profil crédit de la société en apportant des coussins de sécurité aux banques en cas de détérioration de la situation.

Dans le cas où la croissance peut être financée également via des financements d’actifs sans recours sur les projets les plus avancés, il faudra anticiper finement les différentes strates de financements futurs et leurs structures de suretés juridiques. Au niveau du financement holding cela implique d’envisager d’autres mécanismes pour conforter les prêteurs, comme une visibilité accrue sur les flux remontant à la holding, des mécanismes de remboursement anticipés partiels, un contrôle sur le portefeuille de projets en développement, etc.

L’aspect créatif du dossier concerne également l’encadrement du crédit. En effet, pour des sociétés en croissance à ebitda négatif ou faible, les covenants habituels type levier d’endettement risquent fort d’être soit inopérants, soit beaucoup trop contraignants. Pour permettre aux banques de suivre la trajectoire promise, tout en se ménageant des marges de manœuvre opérationnelles, il est préférable de retenir des indicateurs opérationnels tels que les revenus annuels récurrents, les volumes de vente ou le déploiement physique d’infrastructures.

Si les emprunteurs ne sont pas en position de force dans la négociation avec les banques, il faudra néanmoins être fermes sur les éléments de structure du crédit (durée, échéancier, covenants, engagements de faire et de ne pas faire), notamment dans le cadre d’un financement inaugural qui restera un point de comparaison pour les suivants. La marge du financement sera, quant à elle, à mettre en regard d’autres options de financement autrement plus couteuses et ne doit pas devenir un point de fixation.

Marier les profils de prêteurs

L’appétit des prêteurs sera lié au potentiel du courant d’affaires à venir avec l’entreprise. Cash management et flux, cautions et garanties, financements d’actifs, couvertures de taux et change, haut de bilan ou gestion de patrimoine des dirigeants fondateurs le cas échéant : tous les leviers commerciaux sont bons pour faire jouer la concurrence.

Il ressort des différentes opérations conseillées récemment par Redbridge que les meilleures chances de succès s’obtiennent en mariant les réseaux de banques régionales, sensibles à l’occasion donnée de renforcer le développement de leurs territoires, et les équipes de la banque de financement, plus intéressées par les opportunités de side-business.

Dans pareil projet, l’apport d’un conseil reste un atout pour rassurer les prêteurs, préparer la credit story, apporter des éléments de confort objectifs, contribuer à orienter favorablement la perspective sur le crédit, assurer des conditions les plus optimales possibles et comprendre le fonctionnement et la logique complexes des banques.  Quelle que soit la formule retenue, une préparation scrupuleuse du dossier en amont de l’amorce des discussions avec les prêteurs reste la meilleure garantie d’obtenir un financement qui soutiendra la dynamique de croissance.

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