Les candidats au placement privé doivent arbitrer les différents critères intrinsèques à ce financement, notamment lorsque les prêteurs souhaitent garantir leurs engagements avec des sûretés, écrivent Augustin Huyghues Despointes et Philippe Gatti.
Dans le contexte actuel de désintermédiation des financements et de liquidité abondante, les emprunteurs, ETI en tête, suivies récemment par des PME toujours plus nombreuses, ont de plus en plus recours à des placements privés, ces derniers présentant de réels avantages au tout bancaire (nouveaux prêteurs, sécurisation d’un financement long, remboursement in fine, etc.). Néanmoins, avant de s’engager dans la voie d’un placement privé, les emprunteurs doivent arbitrer les différents critères intrinsèques à ce financement et prendre leur décision en toute connaissance de cause, notamment lorsque les prêteurs souhaitent garantir leurs engagements avec des sûretés.
La recherche de maturité et de dette 100% in fine, la diversification des sources de financement ou encore la réduction de la dépendance au tout bancaire, qui restent les principaux avantages du placement privé, ne doivent pas prendre le dessus sur les autres aspects du financement, notamment juridiques. En effet, le placement privé reste un financement avant tout senior, c’est-à-dire bénéficiant du même rang que les créanciers bancaires, juridiquement désigné dans la notion de « pari passu ». Les divergences structurelles entre les deux produits (maturité/ taux fixe/ calendrier de mise à disposition des fonds) sont « gommées » pour ainsi dire dans les documentations respectives dans le but d’un alignement strict, même si l’expérience montre que certaines clauses peuvent et doivent bénéficier de plus de souplesse dans une documentation obligataire.
Ces contraintes s’alourdissent significativement si des sûretés sont octroyées à la masse des obligataires. Au-delà de la mécanique de l’octroi, avant ou après l’émission, ou concomitamment ou non d’un financement bancaire, il apparaît la problématique de partage des sûretés. Prenons le cas simple d’un nantissement des titres [d’une filiale de] l’emprunteur, en garantie des prêts mis en place. Le partage de la sûreté est alors contractualisé dans la convention sur le rang qui régit notamment le partage du produit en cas de réalisation des sûretés communes. De plus, les accords entre obligataires et prêteurs bancaires peuvent également couvrir d’autres dispositions, comme la question des dérogations (waivers), l’octroi d’un droit de véto à chaque groupe de créanciers sur les décisions prises par les autres créanciers et pouvant les affecter ou encore les mécanismes de défauts croisés. Ces autres dispositions sont alors regroupées dans la convention intercréanciers. Fréquemment, ces deux contrats ne sont qu’un seul document auquel l’emprunteur est également partie.
Continuons notre exemple : un crédit bancaire, maturité 5 ans et un placement privé, maturité 7 ans, sont mis en place concomitamment et bénéficient des mêmes sûretés, dans notre cas un nantissement des titres [d’une filiale] de l’emprunteur. A la différence d’une structuration type LBO, où les dettes, de maturité et rangs différents, sont classiquement garanties par des structures complexes, mais qui se débouclent sans frais dès que l’investisseur revend sa participation, un emprunteur qui souhaite ou qui doit refinancer tout ou partie de ses crédits verra ses contraintes augmenter au regard de la problématique de débouclage, suivie ou non d’une reprise de sûretés.
Notre emprunteur se retrouve alors en situation de faiblesse, puisque le refinancement de son crédit bancaire, intervenant deux/ -trois ans avant le refinancement du placement privé, aura pour conséquence de libérer la sûreté sur les titres octroyée aux créanciers bancaires, mais celle-ci restera en vigueur au seul profit des créanciers obligataires.
Si l’emprunteur, sauf disposition contractuelle contraire prévue dès l’origine du contrat, peut demander à ses créanciers obligataires de libérer le nantissement, il serait pour le moins surprenant que ces derniers renoncent à leur privilège.. De même, les banques qui viendront refinancer les crédits bancaires ou tout autre financement voudront probablement obtenir des garanties sécurisant le ou les nouveaux financements.
Quelles sûretés les nouveaux prêteurs bancaires demanderont-ils à l’emprunteur pour conserver un strict pari passu avec les créanciers obligataires ? La même bien entendu, mais les créanciers obligataires ne voudront pas remettre en cause leur privilège, évitant ainsi tout risque de période suspecte* . Les nouveaux créanciers bancaires devront donc se contenter d’une sûreté de « second » rang, même si cette « infériorité » de rang sera compensée par la convention sur le rang et l’alignement de tous les créanciers sera rétabli.
Le strict alignement entre les différents prêteurs étant conservé tout au long de la vie du placement privé (de 5 à 7 ans en moyenne, voire plus), la structure juridique mise en place est, dans l’absolu, beaucoup plus engageante pour l’Emprunteur que dans le cas d’un crédit bancaire unique. En effet, dans la plupart des cas, un crédit bancaire (à taux variable), de maturité inférieure, peut être remboursé par anticipation sans frais, ce qui laisse aux emprunteurs une toute autre liberté sur le pilotage de leur structure de financement. Mais rappelons que les négociations avec les créanciers obligataires sont plus lourdes en cas de demande importante de la part de l’emprunteur/ émetteur et que celui-ci dispose de peu de levier de négociation vis-à-vis des investisseurs puisqu’il ne peut pas rembourser par anticipation (ou alors en payant des pénalités significatives) et qu’il n’a généralement pas d’autre relation commerciale avec les investisseurs. L’emprunteur peut donc se retrouver dans une spirale de laquelle il sera pour lui peut être difficile de s’extraire, les différents créanciers souhaitant maintenir coûte que coûte le strict pari passu tout au long de la vie de leurs créances respectives.
Ainsi, il est essentiel pour un emprunteur de bien appréhender tous les enjeux en amont de la mise en place d’un financement afin de conserver sa capacité de négociation. Si son profil de crédit le permet, l’emprunteur doit tout faire pour éviter les suretés en s’interrogeant notamment sur le séquencement de ses opérations et en se servant du conflit d’intérêts des prêteurs bancaires susceptibles de revoir leurs exigences à la baisse afin de faciliter la mise en place de financement(s) desintermedié(s) générateurs de commissions d’arrangement. Si un emprunteur se voit dans l’obligation d’octroyer des sûretés (et donc de les partager, le cas échéant, avec ses différents créanciers), il aura tout intérêt d’une part à identifier les clauses pour lesquelles la documentation obligataire devra être plus souple en raison de la durée plus longue de l’engagement (limitations et autres restrictions) et d’autre part à prévoir dès à présent des dispositions permettant la levée des sûretés sous certaines conditions (covenants, rating, etc.)
* On appelle « période suspecte » la période qui permet de remettre en cause tout acte effectué par une société en état de cessations des paiements.