La dynamique du placement privé Euro (EuroPP) est aujourd’hui largement concurrencée par le direct lending, segment plus ouvert et adapté aux besoins actuels des entreprises mid-cap, écrit Muriel Nahmias, Managing Director, conseil en dette chez Redbridge.
Le marché du placement privé Euro (EuroPP) est en pleine reconfiguration. Voici plusieurs années que la base d’investisseurs s’est rétrécie et les émetteurs « crossover », aux portes de la catégorie crédit investissement, n’ont plus accès à cette source de liquidité. Quelle pertinence pour les directions financières cet instrument conserve-t-il ?
Un segment EuroPP de plus en plus étroit
À l’origine, l’EuroPP se présentait comme l’outil idéal pour soutenir la désintermédiation de la dette des ETI. Mais après quelques défauts retentissants et le durcissement monétaire de fin 2022, le segment s’est resserré autour des profils investment grade.
Nombre d’investisseurs traditionnels – assureurs, caisses de retraite, fonds long terme –préfèrent désormais le compartiment du direct lending, où les opérations sont plus sécurisées et mieux rémunérées. Aujourd’hui, la liquidité en EuroPP est devenue rare et sélective. Elle se concentre sur des signatures solides avec un levier maîtrisé (2,5x à 3x maximum) et une taille critique d’EBITDA (>100 M€) pour des financements sans garanties (unsecured).
Le deal « sweet spot » porte sur une taille de 20 à 50 M€, des maturités de 6 à 8 ans, en taux fixe (MS + 220/250 bps pour les IG, jusqu’à MS + 450 pour les signatures non investment grade mais connues).
L’irrésistible ascension du direct lending
Le retrait des fonds institutionnels du marché de l’EuroPP bénéficie au direct lending, animé par deux grands courants.
Les opérations senior secured, pour des entreprises de taille moyenne solides mais non IG, avec un EBITDA de 10 à 100 M€, un levier compris entre 3,5x et 4x. Les structures sont souvent adossées à un crédit bancaire syndiqué ou en club deal, avec des tickets de 10 à 50 M€ sur 5 à 7 ans, à taux variable (EUR + 450/500 bps), et sans call pendant 18 à 24 mois.
Les opérations unitranche non LBO, pour les entreprises familiales, à profil plus « leveragé » (jusqu’à 5x), souvent dans une logique de transmission, croissance ou refinancement stratégique. Les maturités s’allongent jusqu’à 7 ans, avec des marges élevées (EUR + 600/800 bps), et des structures hybrides combinant dette senior et subordonnée.
Dans les deux cas, les KPI ESG sont devenus incontournables, avec une attention croissante portée aux indicateurs sociaux (égalité, diversité, sécurité), au-delà des traditionnels critères carbone. Des mécanismes de bonus/malus peuvent impacter les spreads de plus de 25 points de base dans certains cas.
La disparition du segment « crossover »
La disparition du segment « crossover » est sans doute ce qui marque le plus l’évolution récente du marché de la dette privée Corporate. Autrefois au cœur du positionnement EuroPP, cette catégorie d’émetteurs mid-cap est désormais redirigée vers des solutions de direct lending plus adaptées à leur profil de risque, avec un pricing assumé et une flexibilité documentaire moindre.
L’index crossover ne sert plus de repère de pricing au marché EuroPP.
Et le marché USPP ? Un eldorado pour les émetteurs IG à forte notoriété
Pour les émetteurs investment grade à forte notoriété, le marché USPP (Private Placement américain) reste une alternative structurante. Il permet d’accéder à des maturités longues (10 à 15 ans), à des montants importants, dans un format fixe en dollar, souvent compétitif une fois couvert en euro.
Mais l’entrée sur ce marché est exigeante : il faut afficher un chiffre d’affaires d’au moins 600 à 800 M€, un levier strictement inférieur à 2,5x, une génération de cash-flow stable, et être capable de fournir une information financière détaillée.
L’EuroPP peut-il rebondir ?
Le placement privé Euro conserve des atouts pour les émetteurs IG à la recherche de financement discret, non garanti et sur-mesure. Mais sa place se réduit dans un écosystème dominé par des logiques de sécurisation (direct lending) ou de profondeur (USPP).
Dans ce contexte, il appartient aux entreprises de bien cartographier leurs options de financement, de tenir compte des attentes ESG, de cibler les bons investisseurs – et de ne pas hésiter à sortir du strict cadre EuroPP lorsque la situation le justifie.