Muriel Nahmias et Matthieu Guillot, Managing Directors chez Redbridge, livrent les dernières tendances observées sur le marché des financements corporate. Les banques sont au rendez-vous, mais la préparation reste la clé dans un contexte de sélectivité accrue et de normalisation des conditions.

Les directions financières peuvent souffler : la liquidité bancaire est bel et bien présente. Dans la majorité des secteurs, les opérations sont largement sursouscrites, avec des marges globalement stables. Mais cette apparente fluidité masque des lignes de fracture importantes. Les prêteurs affichent une sélectivité toujours marquée. Dans ce contexte, bien préparer son crédit story et savoir cibler les bons partenaires restent des facteurs déterminants.

Un climat de normalisation… sous conditions

La pause conjointe de la Fed et de la BCE a rassuré les marchés. Malgré un ralentissement modéré de la croissance américaine au premier trimestre, les anticipations d’assouplissement se précisent : la Fed pourrait reprendre la baisse des taux dès septembre, avec une cible à 3 % d’ici mi-2026. En zone euro, la BCE a poursuivi son cycle de baisse des taux en ramenant le taux de dépôt à 2%. Mais la banque centrale prévient : toute nouvelle détente dépendra strictement des données économiques, notamment en matière d’inflation et de tensions commerciales.

Dans ce contexte, les taux longs se stabilisent, les spreads de crédit peuvent se détendre, et les actifs libellés en dollar retrouvent un certain attrait. Un alignement favorable, à condition toutefois que les tensions géopolitiques — Iran/Israël en tête — ne viennent pas fragiliser ce fragile équilibre.

Des banques actives… mais pas pour tout le monde

Sur le terrain, les prêteurs sont au rendez-vous, mais avec des critères de sélection de plus en plus marqués. Les opérations restent en moyenne sursouscrites de 20 à 30 %, sauf dans les secteurs jugés complexes : immobilier, commerce de détail traditionnel ou fashion retail. À l’inverse, les secteurs comme l’aéronautique, la défense, les grands chantiers, le luxe ou la distribution B2B suscitent un fort appétit.

Les banques françaises dominent le jeu sur les ETI, tandis que certaines banques internationales (Commerzbank, JPM, SMBC) cherchent à se positionner plus offensivement. En revanche, la logique ESG, si elle n’a pas disparu, ne suffit plus à elle seule à différencier une opération, même si les banques se battent pour le rôle de coordinateur.

Des marges stables, mais des nuances à surveiller

Côté pricing, la stabilité est de mise, avec quelques subtilités. Sur les RCF non tirés, les marges tendent à baisser légèrement, mais leur niveau est déjà bas. Les RCF destinés à être tirés affichent en moyenne 40 bps de plus. Les commissions upfront peuvent progresser pour compenser une grille de marge optimisée.

Les financements d’acquisition conservent un surcoût d’environ 50 bps par rapport aux financements corporate généralistes. Enfin, les facilités multi-devises offrent toujours des leviers d’optimisation, notamment via la suppression du credit adjustment spread sur les taux sans risque (SOFR, SONIA, SARON), désormais pleinement installés.

La documentation, un enjeu sous-estimé

Les directions financières ont trop souvent tendance à reproduire une documentation existante sans la remettre en cause. Pourtant, repartir d’une feuille blanche permet souvent d’éviter de reconduire des clauses devenues obsolètes ou inadaptées. Cela vaut particulièrement pour les sociétés notées investment grade, dont certains héritages documentaires peuvent être pénalisants.

Autre point de vigilance : l’alignement entre banques françaises et étrangères dans les pools internationaux reste difficile, surtout pour les midcaps. Une bonne coordination en amont est donc essentielle pour éviter les blocages juridiques ou les désaccords de dernière minute.

Des logiques de rentabilité à intégrer

Comprendre la logique de RAROC (Return on Risk-Adjusted Capital) des banques permet de mieux positionner son opération et d’obtenir de meilleures conditions. La valorisation du side-business, souvent sous-estimée par les emprunteurs, est devenue centrale dans la stratégie des prêteurs. Il est par exemple recommandé d’anticiper les discussions de financement bancaire, en particulier avant toute opération de marché (DCM), pour ne pas se retrouver en position de faiblesse.

Croissance, transition, innovation : les banques s’adaptent

Le financement bancaire des entreprises en croissance, notamment dans l’innovation ou la transition énergétique, reste actif. Même s’il y a une prudence accrue sur certains segments (hydrogène, batteries) ou zones géographiques, le marché reste accessible.

Des formats bilatéraux ou en club deal permettent d’accompagner la croissance, souvent à un coût bien plus compétitif que l’equity, sans dilution. Les prêteurs accordent une attention particulière à la visibilité des revenus récurrents, au business model et à la trajectoire vers la rentabilité ou l’IPO.

Cinq conseils pour aborder vos prochaines opérations

  1. Affûtez votre credit story : clarté du business model, visibilité des cash-flows, perspectives sectorielles… vos prêteurs y seront très attentifs.
  2. Valorisez le side business : montrez votre potentiel transactionnel sur les flux, les produits de marché ou le M&A.
  3. Travaillez votre documentation : ne subissez pas un cadre LMA par défaut. Adaptez-le à votre profil et à vos enjeux.
  4. Négociez en amont : mieux vaut structurer votre financement bancaire avant une opération obligataire, pour maximiser votre pouvoir de négociation.
Téléchargez l'étude Redbridge x l'AFTE

Select your location