Dans le nouvel environnement de taux, les banques ne pourront pas couvrir le besoin qu’ont les ETI de renforcer leur liquidité. La notation, sésame pour les marchés obligataires publics, mérite l’attention. Tous les candidats ne sortiront pas dans la catégorie investissement, d’où l’importance de conditionner son projet à des besoins de financement conséquents et de bien s’y préparer.

Dans un marché des financements en tension, faut-il accéder à la notation pour lever des liquidités ? Pour répondre à la question, étaient présents lors des dernières Journées de l’AFTE devant une salle comble Philippe Willion, directeur financement-trésorerie chez Tarkett – groupe noté, Benoit Rousseau, directeur trésorerie et assurances chez Groupe Bel – non noté, et Mathilde Paoli, responsable quasi-Equity chez Geneo – représentant la voix des investisseurs.

Lors de cet atelier, pas de plaidoirie flamboyante pour la cause de la notation. L’avocat du « rating pour tous » ne s’est pas présenté. Sa tâche aurait été ardue. Les protagonistes du débat étaient unanimes pour rappeler que la notation financière, indispensable pour les émetteurs de la catégorie non-investissement (high yield), est peu évidente pour les entreprises de taille intermédiaire (ETI). Les modèles des agences, qui pénalisent les sociétés de taille plus modeste, font perdre au moins un à deux crans de notation par rapport aux ratings bancaires. La méthodologie pénalise également le caractère saisonnier de certaines activités, une des raisons pour lesquelles Groupe Bel n’est pas noté. Enfin, une fois fait le choix de la notation, plus possible d’en sortir.

Liquidité en brèche

Tout ceci vrai. Mais rappelons maintenant quelques faits – non présentés durant l’atelier des Journées – plaidant pour un examen attentif d’une notation financière.

La dernière étude de la structure du financement des corporates du SBF 120 menée par Redbridge souligne la forte croissance des financements bancaires dans le mix de financement des entreprises du SBF 80 (SBF 120 hors CAC 40) depuis 2019 et un début d’inversion de tendance depuis mi-2022. L’explication est la suivante. Pendant de nombreuses années, la notation était un non-sujet. Les ETI préféraient se tourner en priorité vers le bancaire pour leurs financements et les banques ont continué d’être présentes après la reconfiguration des marchés de dette privée intervenue aux prémices du mouvement de normalisation monétaire. Mais après la hausse brutale et semble-t-il durable des taux, la liquidité n’est plus à rechercher coté banques. Faute de « side business » suffisant, celles-ci touchent la limite en termes d’allocation de capital économique (« RWA ») et de profitabilité vis-à-vis de leurs clients entreprises.

Aussi, les ETI ont puisé dans leur trésorerie et tiré sur leurs lignes bancaires pour faire face aux tensions sur leur BFR et à l’accroissement de leurs coûts. Il en est résulté une liquidité qui s’est évaporée de 17 % en 2022, alors que la dette obligataire a baissé de 30 %.

L’heure est désormais au renforcement de la liquidité et à la diversification de la dette. Sur le marché de l’EuroPP, de plus en plus d’investisseurs se focalisent désormais sur des noms qui peuvent payer au moins 400 bps de spread. Le Schuldschein est quasi fermé pour l’instant pour les émetteurs français. Quand il se réouvrira, les investisseurs seront sans doute prudents et méfiants, privilégiant les profils de la catégorie investissement sans doute. L’USPP se focalise sur des profils « solid investment grade ». De plus, la profondeur du marché en euro direct est plus limitée, même si l’arbitrage est bénéfique (environ 50 bps de moins entre un coupon EUR en USPP vs. un coupon EuroPP).

Dans ce contexte, la notation constitue un sésame vers la liquidité des marchés de dette publics. La plupart des ETI ne sortiront peut-être pas dans la catégorie investissement. D’où l’importance de conditionner son projet à des besoins de liquidité conséquents et de bien s’y préparer, en initiant au besoin l’exercice par un « shadow rating » (notation non publique).

A cet égard, le témoignage de Tarkett était intéressant.

Rating inaugural – la méthode

Pour son rating inaugural, étant donné les différences d’approche des agences, et le constat qu’à bilan donné, toutes n’aboutiraient pas nécessairement à une note équivalente, Tarkett a sollicité les trois agences historiques (S&P, Moody’s, Fitch). C’était le choix du moindre risque, laissant ouverte la possibilité de se défaire plus tard d’une agence ou de faire appel à une agence alternative, sans pour autant tripler la charge de travail. En effet, la première notation exige un travail de préparation, d’explication du business model, de mise au point d’un narratif et une réflexion autour des possibles points d’attention, qui vaut pour toutes les agences.

Sur le constant qu’une fois ancrée, une première notation est difficile à bouger, Tarkett a fait appel à un conseil en notation : utile tant pour préparer les documents que pour faire des répétitions des rencontres à venir avec les analystes de agences. Ce monitorat a permis à Tarkett d’appréhender les points clés de l’interaction et des indicateurs de performance préférés des analystes, et enseigné au passage qu’il était possible d’infléchir la modélisation à travers un dialogue constructif. Sur le fond, les agences posent surtout des questions liées à l’activité (formation de l’Ebitda, de l’OCF, capacité de résilience aux chocs extérieurs, etc.) Pour conduire les discussions, le contrôleur de gestion du groupe et le CFO doivent avancer en tandem. L’exercice se rapproche de la communication actionnaires, mais en sensiblement plus approfondie.

En responsable avisé, Philippe Willion évalue depuis maintenant deux ans ses agences, ce qui lui a permis de mieux pointer les différences de méthodologie, d’approche, de staffing également, ainsi que de réactivité sur les changements de notation. Et tout ceci pour quoi ?

Tarkett, par sa notation dans la catégorie non-investissement, a désormais accès au compartiment de dette publique High Yield et son pendant en dette privée, le Term Loan B (TLB), qui est un type de prêts senior de long terme (5 à 8 ans), généralement in fine et sécurisés par un nantissement des titres de la maison-mère et de quelques filiales principales, et conçus pour être syndiqués auprès d’investisseurs institutionnels qui mettront le papier dans leurs fonds spécialisés dans les revenus de dette à fort effet de levier (CLO). Term Loans et High Yield sont utilisés dans les mêmes circonstances, et sont soit concurrents soit complémentaires, le type d’investisseurs étant un peu différent. Tarkett pourrait également accéder au marché des Margin Loans en mezzanine, mais se tient actuellement à l’écart en raison d’un coût moyen consolidé de la dette supérieur au TLB.

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