Mihai Andreoiu a assisté à la récente conférence TXF de Genève consacrée au financement du commerce des matières premières et nous livre ses observations sur l’évolution générale du commerce mondial et l’attention portée par les prêteurs ESG aux négociants en matières premières.

La conférence TXF est venue clôturer la semaine des matières premières de Genève en novembre, l’occasion d’échanger avec les professionnels du négoce, des clients, des prospects, d’anciens collègues et des amis, mais également de suivre des débats au contenu riche. Condensé sur une journée, l’événement a indéniablement gagné en attrait et en dynamisme.

Deux sujets, traités sous le prisme de la transition énergétique, ont retenu mon attention : l’évolution du commerce mondial et l’agenda ESG des négociants en matières premières. Au-delà, les sujets de numérisation du commerce international furent également largement couverts.

Sur l’évolution du commerce mondial, le changement de paradigme se résume comme suit. La Chine n’est plus la locomotive de la mondialisation. Sa production industrielle se déplace progressivement vers des pays où le coût de la main d’œuvre est plus faible, comme le Vietnam (3 dollars par heure contre 11 dollars pour la Chine). Une certitude statistique, avancée durant la conférence, est que le commerce mondial dans son ensemble connaît généralement la même trajectoire de croissance que le PIB mondial (2,5 % à 3 % sur longue période).

L’économie mondiale est désormais placée sur une trajectoire de fragmentation et de découplage, ce qui signifie que la croissance mondiale ne bénéficiera plus comme par le passé des délocalisations, qui en étaient le principal moteur. Les marchés émergents vont enregistrer un fort recul de leur taux de croissance, qui passera de 5 % à 3 %. Le contexte économique mondial va prochainement se confronter au vieillissement de la population, au piège de la pauvreté et à l’incapacité à faire croître la productivité dans certaines régions.

Dans ce contexte, la transition énergétique serait théoriquement en mesure d’apporter un relais de croissance à l’économie mondiale, à travers la diffusion de nouveaux produits intégrant plus de logiciels (à base d’Intelligence Artificielle notamment) et des métaux spécifiques. Parmi ces nouveaux produits figurent les automobiles de nouvelle génération, que je compare souvent (et affectueusement) à des iPhones sur roues. Ce relai semble aujourd’hui fragile. Sans même évoquer la volatilité des prix des métaux, les constructeurs envoient des signaux très prudents quant à leur capacité à faire croître leurs capacités de production de véhicules électriques. Coté demande, la remontée des taux d’intérêt incite les consommateurs à freiner leurs dépenses pour ces biens censés assurer la transition énergétique. Enfin, la guerre commerciale autour des ressources essentielles à la transition énergétique amenuise les espoirs de voir émerger rapidement un nouveau relais pour la croissance mondiale.

Dans ce contexte, les énergies fossiles, carburant désigné comme appartenant à l’ancien monde, n’ont pas dit leur dernier mot. Le bloc Brésil-Russie-Inde-Chine (BRIC) reste un marché toujours porteur pour les sociétés de négoce en énergies fossiles qui ont un appétit mesuré pour le risque. En conclusion, la croissance du PIB mondial étant mise à l’épreuve, celle du commerce mondial suivra probablement une trajectoire plus modeste. Les sociétés de négoces peuvent toutefois espérer tirer parti de la fragmentation de la production pour extraire plus de valeur, sans augmentation significative des volumes d’échanges.

Agenda ESG des prêteurs

La question de l’agenda ESG des prêteurs confronte chaque société de négoce aux mêmes questions : comment calculer le bilan net zéro ? quel est le cadre pour quantifier les émissions ? quels sont les KPI éligibles ? L’approche ESG des banques reste fragmentée. Plusieurs établissements de premier plan répartissent leur portefeuille de prêt entre des financements fléchés (prêts verts), les expositions réparties selon une notation ESG des entreprises ou des KPI ESG liés. D’autres prêteurs se concentrent sur des indicateurs de performance ESG spécifiques et développent leur propre modèle de quantification des émissions. Sur ces sujets de verdissement des portefeuilles de prêts, les banques pourraient bénéficier d’un délai supplémentaire. En effet, le secteur financier sera apparemment épargné et exclu du déploiement initial de la directive sur le devoir de diligence en matière de développement durable des entreprises.

Alors que les banques continuent de pousser tranquillement la finance durable, la réalité reste que les emprunteurs sont plus légitimes pour mesurer leur propre empreinte carbone et les différents indicateurs clés de performance ESG. Il s’agit après tout de leur activité et les banques ne devraient pas être en mesure de dicter leurs règles ! Il ferait plus sens que les banques se conforment à ce qui est logique du point de vue ESG et commercial pour le client. Tout sera donc une question de données et de mesures. Il y a là une occasion unique à saisir pour des « agrégateurs » de données, d’informations et de meilleures pratiques. Reste à savoir si ce marché sera pris par des acteurs dédiés à la cartographie de l’empreinte carbone ou de fintechs développant des compétences spécifiques autour des structures de financement.

Une chose semble certaine. L’approche des banques devra être adaptée à chaque type de négoce. Les négociants en produits agricoles seront probablement les plus avancés sur les problématiques ESG, car ils sont structurellement  » vissés  » à leur base de fournisseurs/agriculteurs depuis très longtemps et leur responsabilité vis-à-vis de leur chaîne d’approvisionnement est grande. La transition énergétique n’est pas un big bang mais un marathon. Les négociants en métaux seront sous les feux de la rampe car ils manipulent les matériaux nécessaires à la transition énergétique. Les négociants en combustibles fossiles auront un rôle à jouer, tant que le monde aura encore besoin de ces combustibles traditionnels pour compléter la demande globale.

Dans ce contexte, les emprunteurs devront rester incités à réaliser de bonnes performances en matière ESG, tandis que tout « malus » facturé par les banques devra être affecté à des objectifs « verts » spécifiques plutôt qu’à leurs propres bénéfices. Une autre confirmation intéressante du côté des négociants est que le commerce du carbone est bien vivant et que les acteurs qui ont une position suffisamment profonde en amont seront en mesure de proposer une offre encore plus large à leurs clients en vue d’atteindre la neutralité carbone.

En conclusion, bien que le commerce mondial dans son ensemble ait probablement tendance à diminuer, il existe de nombreuses opportunités pour les sociétés de négoce tout au long du long du parcours de transition énergétique, en se concentrant de plus en plus sur les données, la mesure, l’allocation efficace du capital et l’appétit spécifique pour les risques géographiques.

Recevez nos publications

Select your location