Gabriel Lucas, Director – Conseil en Paiements chez Redbridge, observe comment la convergence entre les paiements instantanés et les services « overlay » d’Open Finance agissent en catalyseur des paiements de compte-à-compte. Article initialement publié dans la magazine The Paypers.
Paiements de compte à compte : des avantages évidents… mais une adoption encore restreinte
Les paiements de compte à compte (Account-to-Account ou A2A) apportent des bénéfices tangibles aux commerçants : règlement en temps réel, frais réduits et, conséquence directe, meilleur contrôle de la trésorerie. Pourtant, leur développement reste encore pour l’heure limité, malgré l’existence d’infrastructures bien établies – comme SEPA Instant en Europe, FedNow ou RTP de The Clearing House aux États-Unis – et de cadre réglementaires de référence tels que la seconde directive sur les service de paiement (DSP2) et l’open banking.
Quelques succès remarquables comme celui d’iDEAL aux Pays-Bas, UPI en Inde ou Pix au Brésil prouvent que la réussite est possible — mais souvent difficile à reproduire. En Europe, Wero et EuroPA sont, à l’instar de Pay by Bank de Fiserv aux Etats-Unis, des challengers crédibles à l’hégémonie des paiements par cartes. Pourquoi ces solutions n’ont-elles pas encore obtenu le succès qu’elles visent ?
Le point de vue du consommateur : pourquoi changer ?
Si les paiements A2A constituent une évidence pour les commerçants, leur proposition de valeur reste bien moins convaincante du point de vue des consommateurs. Les cartes et les portefeuilles numériques ont bâti leur fidélité sur la valeur ajoutée : protection de l’acheteur, assurances, cashback, programmes de fidélité, facilité d’utilisation en un clic.
À l’inverse, les solutions A2A restent à ce jour souvent perçues comme compliquées, opaques et moins sécurisées. Elles manquent de notoriété auprès du grand public, offrent peu ou pas de protection en cas de litige et nécessitent généralement plusieurs étapes pour compléter un paiement. Sans incitation significative ou expérience utilisateur équivalente, les consommateurs restent attachés à leurs habitudes — et n’intègrent souvent même pas l’A2A comme une option de paiement.
Le vide réglementaire : la DSP2 et après
La DSP2 a posé les bases de paiements de compte à compte sécurisés via des API, mais n’a pas traité des éléments clés comme l’expérience utilisateur ou la valeur consommateur. Les banques, confrontées à un potentiel commercial limité comparé à la rentabilité de leurs activités cartes, ont relégué au second plan l’investissement dans les interfaces de paiement.
De plus, l’interdiction de la surfacturation — censée protéger les consommateurs — a privé les commerçants d’un levier essentiel pour les orienter vers des moyens de paiement plus économiques comme l’A2A. Ce décalage réglementaire empêche les commerçants de promouvoir activement ces solutions, malgré leur fort potentiel pour réduire les coûts. Une solution puissante mais souvent négligée existe toutefois en Europe : inciter les paiements A2A de façon conforme, via des remises ou des récompenses, et offrir ainsi une valeur claire et directe au consommateur.
Que peuvent faire les commerçants — avec ou sans réglementation ?
La réglementation peut favoriser l’adoption, mais ce sont les commerçants qui détiennent le vrai levier d’accélération des paiements A2A, en particulier dans les secteurs à forte valeur unitaire (luxe, électronique, voyage) ou à faible marge (grande distribution, places de marché). Des acteurs mondiaux comme Ryanair ou Walmart démontrent comment l’intégration proactive des paiements A2A permet d’allier économies et engagement client.
Parmi les stratégies efficaces pour favoriser l’adoption des paiements de compte à compte, citons :
- Clarifier l’avantage : rendre la valeur évidente, par exemple avec des promotions du type « Économisez X % en payant avec la solution… ».
- Renforcer la confiance : mettre en avant la sécurité, les politiques de remboursement et de litige, et normaliser l’usage de l’A2A via des témoignages clients.
- Fluidifier l’expérience : intégrer l’A2A directement au paiement, supprimer les redirections et activer les connexions biométriques ou les confirmations instantanées.
Open Finance : là pour combler l’écart
La DSP3 et le règlement sur l’accès aux données financières (FIDA) devraient standardiser et élargir l’accès aux données, mais leur potentiel transformateur réside surtout dans l’émergence d’innovations centrées sur l’utilisateur, bâties au-dessus des infrastructures de paiement, appelées services « overlay » d’Open Finance. Des fonctionnalités telles que la visibilité en temps réel du solde, l’agrégation de comptes, les incitations dynamiques ou les remboursements instantanés peuvent amener les paiements A2A à rivaliser — voire surpasser — la commodité des cartes, en y ajoutant de la valeur (cashback personnalisé, achats répétés sécurisés en un clic, etc.).
Pour les banques et les fintechs, l’Open Finance ne se résume pas à des questions de conformité. L’Open Finance offre l’opportunité de passer du rôle de fournisseur d’infrastructure à celui de créateur d’expérience. Quant aux prestataires tiers, il ouvre la porte à des solutions A2A sur mesure pour des verticales comme les abonnements, le voyage ou le luxe. Dans ce contexte, l’A2A dépasse le simple statut de moyen de paiement : il devient une plateforme de différenciation et un levier concurrentiel.
Ce qu’il faut retenir de l’A2A
Les consommateurs n’adoptent pas un moyen de paiement parce qu’il coûte moins cher aux commerçants ou qu’il repose sur une infrastructure plus efficace. Ils changent leurs habitudes lorsque l’expérience est meilleure, que la valeur est claire ou que les incitations sont plus fortes.
Pour libérer pleinement le potentiel de l’A2A, l’écosystème doit changer de perspective :
- passer des infrastructures aux récompenses,
- des API à l’expérience,
- de la réduction des coûts à la création de valeur pour l’utilisateur.
Cet article a été initialement publié dans le Account-to-Account Payments Report 2025 de The Paypers, qui analyse les tendances mondiales, les acteurs majeurs, les partenariats et la prochaine phase de l’évolution des paiements A2A.