NEU CP – Emmanuelle Trichet, chef du service des Titres de créances négociables à la Banque de France, répond aux questions de Redbridge sur la création du marché des NEU CP et ses enjeux pour le financement des entreprises.

[Redbridge] Suite à la publication de l’arrêté et du décret portant réforme du marché des titres de créances négociables, quelles adaptations les émetteurs doivent-ils apporter à leurs programmes, à leurs pratiques et à leurs procédures ?

[Emmanuelle Trichet] Cette réforme du marché français des titres de créances négociables conduite par la Banque de France, en étroite collaboration avec le Trésor dans le cadre du Comité Place de Paris 2020, marque une importante modernisation du cadre réglementaire du marché des titres à court et moyen terme fixé en 1985 lors de la création de ce celui-ci. Les réflexions de Place ont d’emblée montré une forte convergence de vues de l’ensemble des participants de marché et de leurs associations professionnelles, qui ont souhaité un marché à la fois plus simple, plus lisible et plus accessible, rebaptisé pour son segment de court terme « Negotiable European Commercial Paper » (NEU CP – prononcé new CP), nouveau nom donné aux anciens certificats de dépôts et billets de trésorerie.

Il est désormais permis de rédiger la documentation financière dans une langue usuelle en matière financière, à savoir en pratique l’anglais, sans avoir à produire un résumé en français. Une dénomination unique « la documentation financière » a été retenue pour qualifier l’ensemble des informations produites par l’émetteur. La présentation de l’activité est en outre simplifiée, avec la suppression du distinguo entre émetteur financier et émetteur non financier. Par ailleurs, il est demandé aux émetteurs de fournir aux investisseurs une information actualisée en temps réel sur la notation du programme d’émission, grâce à un lien hypertexte renvoyant directement au site de l’agence de notation. Les émetteurs non notés, quant à eux, spécifient simplement l’absence de notation.

Les émetteurs n’ont donc que peu de modifications à apporter pour mettre leur documentation financière en conformité et bénéficient de surcroît d’une période de transition.

La mise en œuvre de la réforme, ainsi que le développement du marché des NEU CP, se ressent-elle sur les délais d’instruction des dossiers ?

Le service a été récemment mobilisé pour permettre la finalisation de la réforme. Signalons, d’une part, que les nouveaux textes prévoient des délais de mise à jour de la documentation financière temporairement portés de 45 à 90 jours après la tenue de l’assemblée générale des actionnaires, et d’autre part, que les émetteurs peuvent continuer à émettre durant la période de mise à jour. Les délais de traitement des dossiers seront globalement identiques à ceux constatés l’an dernier sur l’ensemble de la campagne et, c’est important, le service de la Banque de France est organisé pour tenir compte des contraintes de calendrier propres à chaque émetteur.

Améliorer l’accès des entreprises de taille intermédiaire (ETI) et des émetteurs étrangers au marché des NEU CP est un autre objectif important de la réforme. Prévoyez-vous un changement substantiel de la composition du marché par type d’émetteurs ?

Les pouvoirs publics n’ont pas d’objectifs spécifiques en termes de croissance ou de composition de l’encours mais ont avant tout le souci de créer les conditions pour que ce  marché soit ouvert à tous. Le gisement d’émetteurs a vocation à fluctuer en fonction de plusieurs paramètres relatifs notamment à l’environnement macroéconomique ou au cadre réglementaire applicable à chaque catégorie d’émetteurs. Actuellement, les institutions financières ont tendance à allonger la maturité de leur financement sur le moyen et long terme. En revanche, une dizaine d’entreprises de chiffres d’affaires de moins de 10 milliards d’euros, incluant des ETI, ont pu diversifier leurs financements en lançant un programme de titres courts au cours des dix-huit derniers mois, démontrant par la même occasion la capacité du marché à répondre aux besoins de nouvelles catégories d’émetteurs, y compris ceux de taille moyenne.

La réforme préserve cette dynamique de croissance du nombre d’émetteurs, en apportant un niveau de transparence toujours aussi élevé aux investisseurs. La Place s’est montrée attachée à ce que la Banque de France continue de veiller au respect des conditions d’émissions de titres à court et moyen terme. Le site Internet de la Banque de France a été modernisé de manière à permettre de trouver plus facilement les informations relatives, pour les investisseurs, à chaque programme d’émission et aux données plus générales du marché, et pour les émetteurs, celles concernant l’élaboration ou l’actualisation de la documentation financière. Enfin, le dépositaire Euroclear a développé un outil permettant de disposer du code ISIN en temps réel après une émission, renforçant ainsi la sécurité juridique des transactions, une évolution attendue par les principaux acteurs de marché.

Et à l’international ?

Plusieurs autres évolutions mettent plus aisément le marché des NEU CP à la portée des acteurs internationaux, notamment : la possibilité de produire une documentation intégralement en anglais ; la reconnaissance des normes comptables de l’Espace économique européen ainsi que des normes comptables reconnues comme équivalentes par la Commission européenne soit, à ce jour, les US GAAP et les Japanese GAAP ; l’élargissement des agences de notation déjà acceptées à celles enregistrées auprès de l’ESMA.

Plus généralement, la réforme offre une diversification des sources de financement des entreprises et contribue ainsi aux objectifs de stabilité financière. Il est intéressant d’observer le fait que, comparativement à la situation française, le financement à court terme des sociétés non financières repose sur des circuits davantage intermédiés tout particulièrement en Italie et en Espagne, l’Allemagne étant dans une situation intermédiaire.

Les gestions monétaires ont peu investi dans les récents nouveaux programmes d’ETI non notés. La règlementation fixant le cadre d’investissement des gestions monétaires vous semble telle adaptée au développement du marché des titres de créance court terme ?

Les évolutions réglementaires engagées au niveau européen sur le volet de la gestion monétaire visent des préoccupations de renforcement de la stabilité financière. Elles privilégient, en particulier, une référence à la « haute qualité de crédit » de l’émetteur, plutôt qu’une référence à un niveau de notation influençant mécaniquement les décisions de gestion. L’analyse interne et la connaissance qu’une gestion peut avoir d’une entreprise président désormais à toute décision d’investissement,  ce qui est important.

Indépendamment de l’évolution du cadre d’investissement, les gérants monétaires, recherchent un ticket minimum et veillent à la liquidité des programmes dans lesquels ils investissent. Le marché apparaît adapté pour des ETI de taille suffisante, qui gagneraient à diversifier leurs sources de financement. Au-delà de la gestion monétaire, le marché dispose aussi d’autres investisseurs, notamment les établissements financiers ou encore les corporate.

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