Régis Leonhard, Global Head of Treasury and Structured Trade Finance d’Alvean, dévoile comment la plus importante société de négoce de sucre à l’échelle mondiale gère ses relations bancaires, ses financements et répond à la hausse prévisible des taux d’intérêt.

– Quels sont les grands enjeux de la fonction financement-trésorerie d’Alvean ?

– Régis Leonhard : Alvean est la plus importante société de négoce de sucre à l’échelle mondiale. Notre entreprise est née en 2014 du rapprochement entre la division sucre de Cargill et de Copersucar, le plus gros producteur de sucre brésilien. Chaque année, Alvean négocie environ 12 millions de tonnes de sucre brut et raffiné. Nos équipes se composent de 140 personnes réparties dans neuf pays, avec les activités de trading situées à Genève.

Même si Alvean a deux parents de renom et est relativement bien dotée en capital, notre modèle économique est ‘asset light’. Le groupe n’a pas d’infrastructures à financer et, sur une majeure partie de ses opérations, n’est pas propriétaire des stocks de sucre qu’il échange. C’est notamment le cas au Brésil, où Alvean achète franco-à-bord (FOB) pour ses contreparties.

Les financements fondés sur des collatéraux (trade based) ne sont pas adaptés à ces opérations. Aussi, No. L’essentiel de nos besoins de financements sont couverts par des lignes bancaires bilatérales et un crédit syndiqué.

Le marché du sucre étant particulièrement volatil, un des grands enjeux de la fonction finance d’Alvean consiste à calibrer les lignes de crédit du groupe pour répondre aux appels de marge sur nos instruments dérivés de couverture de risque, futures principalement. Cela nécessite d’une part de mettre l’accent sur les prévisions et d’autre part de veiller à ce que les limites et sous-limites fixées par les banques au sein des financements soient bien adaptées à notre activité. Ce dernier point rejoint un autre grand enjeu : sélectionner nos partenaires de financement en fonction de leur appétit et de leur capacité à accompagner la société dans différents pays, sur différents types de risques, pour des rendements différents.

– Comment gérez-vous vos relations bancaires ?

– Alvean a hérité des principales banques de Cargill, avant d’élargir ses relations à des banques spécialisées sur le financement du négoce international, ainsi qu’à quelques banques de niches capables d’accompagner le groupe en mettant en place des structures de financement spécifiques. Au global, Alvean tire ses financements d’une trentaine de banques et est en relation avec une cinquantaine de banque en intégrant au périmètre les contreparties sur les instruments de trade finance. Le pool de banques a notamment grandi l’année dernière, lors de la mise en place de la première facilité de crédit du groupe autour d’un syndicat de 21 banques.

Pour gérer nos relations bancaires, nous analysons chaque mois les intérêts versés à chacune de nos banques sur nos différentes facilités. L’idée est d’ajuster immédiatement les tirages pour que les revenus confiés à chaque partenaire reflètent la répartition fixée dans le cadre du crédit syndiqué.

– Comment menez-vous vos négociations sur les financements ?

– Les prêteurs bancaires considèrent Alvean comme une entreprise jeune. Nous avons accepté de payer nos financements avec une prime, pour nous assurer un accès large à la liquidité bancaire indispensable à notre activité. Aujourd’hui, nous veillons à calibrer au plus juste des besoins de financements et nous travaillons à améliorer la perception qu’ont les prêteurs bancaires de notre profil de risque. L’objectif est d’abaisser la marge de notre crédit syndiqué, dans le cadre de sa renégociation annuelle. Puis, par capillarité, de répercuter à l’ensemble de nos instruments et lignes bilatérales cette amélioration de nos conditions de financements sur le RCF.

Alvean a bénéficié depuis sa création d’un environnement où la liquidité sur le marché bancaire était abondante. L’abaissement des marges qui nous sont appliquées a entre autre, pour vocation à limiter l’impact d’une remontée prévisible des taux ainsi qu’à continuer à accroitre notre productivité et à en faire bénéficier nos clients. A l’avenir, un des objectifs potentiels de nos négociations sera d’allonger la maturité de notre dette, avec un impact limité sur les marges.

– Comment jugez-vous la qualité du dialogue avec les prêteurs bancaires ?

– Les banques privilégient l’historique et les résultats financiers et sont tres attentives au contexte économique du marché du sucre actuellement sous pression, en raison d’un surplus de l’offre avec des prix bas et une vague de concentration qui se poursuit (Alvean ayant été un des instigateurs de ce mouvement).

Les banques adhèrent à notre business model, nous avons des actionnaires forts et nous remplissons nos objectifs de croissance. Nos résultats sont volatils par nature, dû au marché qui est cyclique, mais nous dégageons des marges substantielles dans le marché physique. Nous regrettons l’absence d’une discussion franche et directe avec certaines banques sur la manière d’améliorer notre profil de risque. Sur la trentaine de banques avec lesquelles nous travaillons, une dizaine ont mené un audit de notre risque. Dans le cadre de sa revue annuelle, chaque prêteur pose de nouvelles questions et nous permet d’améliorer sa connaissance d’Alvean. Nous consignons tous ces échanges. Quelques prêteurs nous indiquent les éléments sur lesquels ils s’estiment confortables ou mal à l’aise, pour justifier leur pricing ou leur refus de s’engager sur certaines opérations.

– Envisagez-vous de diversifier vos sources de financement ?

– Pas dans le sens d’une désintermédiation. L’offre de financement en direct par des fonds nous paraît adaptée pour des commodity traders de taille plus réduite que celle d’Alvean. Les conditions proposées ne sont pas attractives comparées à celles dont nous bénéficions sur nos financements bancaires.

Le financement sur le marché obligataire public implique des coûts de notation et de marketing de notre dette. Le coût d’entrée semble élevé pour obtenir des covenants plus serrés que sur les financements bancaires. Par ailleurs, il nous semble peu adapté de financer des opérations de commerce à court terme par des financements de long terme. Le financement obligataire fait plus sens pour certains acteurs plus diversifiés, qui ont des actifs très importants à financer, que pour Alvean.

En revanche, lorsque nous pouvons fournir des garanties (pledges), nous bénéficions de conditions de financements plus attractives. C’est sur cet axe que nous travaillons. Nous avons lancé une réflexion en interne sur la possibilité de leverager notre bilan. Obtenir un financement sur les actifs court terme traités par Alvean exige de la créativité, puisque les stocks ne nous appartiennent pas.

– Quels sont les autres chantiers de la direction de la trésorerie ?

– Le département trésorerie a été mis en place à partir d’une feuille blanche à la création d’Alvean. L’équipe a depuis absorbé une charge de travail conséquente liée à notre activité soutenue et en croissance. Nous souhaitons désormais améliorer nos processus et pousser plus loin l’utilisation de notre outil de trésorerie. L’idée est de déployer de nouveaux modules pour renforcer nos prévisions et notre gestion des couts et des risques. Au-delà, nous aimerions estimer plus précisément notre consommation de services de trade finance et les activités annexes confiées à chacune de nos banques, dans un souci de gérer nos relations bancaires de manière pleinement informés.

Parcours – Régis Leonhard

Régis Leonhard est Global Head of Treasury and Structured Trade Finance chez Alvean. Il cumule une quinzaine d’années d’expérience dans le secteur du négoce sur matières premières. Régis a débuté sa carrière à Paris chez EY en qualité de consultant spécialisé sur le financement des besoins de fonds de roulement des entreprises. Il a ensuite rejoint Gaselys, société de trading sur énergie (pétrole, gaz, électricité, CO2, etc.) détenue conjointement par Société Générale et GDF SUEZ. Il y fut contrôleur financier, puis responsable de la trésorerie et des financements. Régis Leonhard a poursuivi sa carrière à Genève, au sein de la société Viterra, où il a developpé le département trade finance et de trésorerie. Après le rachat de Viterra par Glencore, Regis a rejoint Puma Energy, filiale de distribution de Trafigura, en qualité de trésorier groupe adjoint. Il y exercera cinq ans, avant de rejoindre Alvean en juin 2017.

propos recueillis par Emmanuel Léchère


Les sociétés de négoce international font face à de nombreux risques qui peuvent ébranler des années de développement patient

Compte tenu des nombreux défis auxquels les sociétés de négoce sont aujourd’hui confrontées, l’équipe de Redbridge a jugé utile de partager avec les responsables financiers ses réflexions sur un large éventail de sujets tels que les relations bancaires, l’optimisation de la trésorerie et les évolutions des modes de financement du secteur.

Au sommaire de cette nouvelle publication (en anglais)

  • Les sociétés de négoce et les banques : qui a peur de qui ?
  • Qu’est-ce qui motive l’appétit des banques à financer les activités de négoce ?
  • Pourquoi les borrowing bases ont-elles de l’avenir ?
  • Les fonds de trade finance sont-ils une source de financement alternative intéressante ?
  • Comment disposer d’une vision consolidée sur chaque opération de trading en temps réel ?

Ainsi que le point de vue des responsables financiers de :

  • Trafigura
  • Louis Dreyfus
  • Alvean

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