Coût en capital réglementaire allégé, reconnaissance élargie dans le calcul des ratios de liquidité, simplification des reportings… la Commission européenne a présenté son projet de réforme destiné à redonner de l’appétit aux banques pour la titrisation, tant en qualité d’originateurs qu’investisseurs.
La Commission a dévoilé le 17 juin sa réforme du cadre législatif et règlementaire de la titrisation dans l’Union européenne, visant à promouvoir ce maillon essentiel à la réalisation du programme d’Union de l’Epargne et de l’Investissement (UEI). Les propositions, qui visent à redynamiser la titrisation auprès des banques, vont être transmises au Parlement européen et au Conseil pour examen et adoption. En complément, la Commission consultera dans les prochaines semaines sur des ajustements à apporter au cadre Solvabilité II, afin de renforcer l’intérêt des assureurs pour les produits de titrisation.
Des ajustements ciblés pour alléger le coût de la titrisation
Pour réduire le coût de la titrisation pour les émetteurs dans l’Union européenne, le projet de réforme prévoit d’assouplir le traitement des titrisations dans le cadre prudentiel bancaire. La règlementation actuelle prévoit l’application d’un seuil sur les besoins en capital règlementaire, auquel sont soumises les banques quand elles investissent dans une part senior de titrisation.
Ce seuil (floor), aujourd’hui de 10 % pour une opération STS (a) (simple, transparente et standardisée), sera désormais fonction du risque inhérent au portefeuille titrisé, et pourra baisser jusqu’à 5 % dans le cadre des transactions dites « résilientes », un nouveau label proposé par la Commission qui intègre les critères STS et y ajoute une condition de rehaussement de crédit minium.
Par ailleurs, l’un des éléments du calcul du besoin en capital règlementaire (le « p-factor ») sera abaissé très sensiblement pour les parts senior STS. Ce sera notamment le cas quand la banque utilise la méthode de calcul standard (SEC-SA), allégeant mécaniquement les exigences en capital.
Le texte prévoit également une amélioration du traitement de la titrisation dans le cadre du ratio de couverture des besoins de liquidité (Liquidity Coverage Ratio ou LCR). Le LCR fixe le montant des actifs liquides dont une banque doit disposer pour répondre à ses besoins de liquidité de court terme. Il est proposé d’admettre dans la catégorie des actifs liquides une gamme et un volume plus importants d’actifs titrisés. La Commission consulte sur cet aspect de la réforme jusqu’à mi-juillet.
Enfin, la Commission propose de simplifier les obligations de reporting pour les titrisations privées (b) ainsi qu’un allègement des due diligences que les investisseurs doivent entreprendre sur les titrisations dans l’Union européenne.
Une relance attendue après la réforme de 2017
L’actuel régime européen de la titrisation, issu des règlements (UE) 2017/2401 et 2017/2402, visait à restaurer la confiance des investisseurs après la crise financière de 2008. Il imposait notamment un alignement des intérêts via une règle de rétention de 5 % pour les originateurs (c) et un traitement prudentiel plus strict de financements collatéralisés (Asset Backed Securities). Ce cadre a fixé des règles précises en matière d’actifs éligibles à la titrisation, ainsi que les obligations applicables au cédant en matière de sélection des actifs à titriser. L’obligation d’information des investisseurs a été renforcée. Enfin, la Commission a promu la mise en place d’opérations simples, transparentes et standardisées en associant ce label STS à un traitement en capital plus favorable.
Malgré ces avancées, force est de constater cinq ans après l’entrée en vigueur de la nouvelle règlementation (2019) que la titrisation n’a pas vraiment repris en Europe, en contraste avec la situation aux Etats Unis. Cette faiblesse persistante a conduit Enrico Letta (d) et Mario Draghi (e) à préconiser une relance du marché de la titrisation dans leurs rapports respectifs remis en 2024, qui furent suivis d’un appel formel du Conseil européen invitant la Commission à proposer une réforme. Une consultation publique a été lancée à l’automne dernier, à laquelle ont répondu de nombreux groupes d’intérêts. Les demandes portaient principalement sur une clarification de la définition de la titrisation, un allègement des obligations de transparence et de due diligence, une réduction du coût en capital pour les institutions financières et une amélioration du traitement prudentiel pour les compagnies d’assurances et fonds de pension.
Un impact surtout pour les banques
La réforme proposée devrait donc permettre aux banques de titriser plus facilement leurs propres actifs. Pour les originateurs non bancaires, l’impact attendu reste en l’état actuel limité, notamment en termes de coût. Il conviendra toutefois de suivre attentivement l’évolution du cadre réglementaire au fil de l’examen au Parlement, car la redéfinition des règles du marché de la titrisation pourrait avoir des effets plus larges à moyen terme.
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(a) STS est un label dont bénéficient les opérations de titrisation respectant un certain nombre de critères : diversification suffisante du portefeuille, règles d’amortissement claires, localisation de l’originateur/sponsor dans l’UE ; historique de risque suffisant sur le portefeuille sous-jacent.
(b) Une titrisation privée est une titrisation n’ayant pas fait l’objet de l’émission d’un prospectus, dont les parts ne sont pas admises au trading sur un marché, et dont les conditions sont négociées bilatéralement entre l’originateur et un petit groupe d’investisseurs.
(c) Le fait que les banques originatrices d’opérations de titrisation n’analysent pas suffisamment le risque de crédit de leurs emprunteurs puisque, ce risque étant cédé à des investisseurs tiers, elles ne sont elles-mêmes que faiblement exposées aux pertes.
(d) Rapport Letta – https://www.consilium.europa.eu/media/ny3j24sm/much-more-than-a-market-report-by-enrico-letta.pdf
(e) Rapport Draghi – https://commission.europa.eu/document/download/97e481fd-2dc3-412d-be4c-f152a8232961_en?filename=The%20future%20of%20European%20competitiveness%20_%20A%20competitiveness%20strategy%20for%20Europe.pdf