Seule l’autorisation en France du surcharging permettrait aux commerçants de contrer l’impact de l’envolée des commissions d’interchange des cartes commerciales émises par le Groupement des Cartes Bancaires, écrit Emmanuel Léchère, Head of Market Intelligence, Redbridge DTA.

La disposition figurait au projet initial de règlement européen sur les commissions d’interchange relatives aux paiements par carte. Toutefois, rares étaient ceux qui avaient prêté attention aux conséquences de la décision d’exclure les cartes commerciales du champ d’application du règlement. En l’absence de données produites par les réseaux sur la part de marché des cartes commerciales, la dérogation pouvait paraître anodine. Ce n’est pas le cas.

Selon les informations divulguées à demi-mot par le Groupement des Cartes Bancaires, les cartes commerciales telles que définies par le règlement, soit les cartes directement débitées sur le compte d’une entreprise, représenteraient 5 % du nombre de cartes émises par le réseau national français. Les paiements effectués à partir de ces cartes ne seront pas concernés par le plafonnement de l’interchange à 0,20 % pour les cartes de débit, 0,30 % pour les cartes de crédit et, de manière transitoire, 0,23 % pour les cartes dites « universelles ».

Un interchange plus que triplé

Le règlement ouvre une situation inédite pour les commerçants français, qui auront désormais à composer avec des commissions d’interchange différenciées sur les cartes affiliées au réseau GIE CB, selon que le paiement est effectué à partir d’une carte de débit, d’une carte de crédit, d’une carte universelle et – pour revenir à notre sujet – d’une carte commerciale.

Les commerçants manquent de données pour évaluer l’impact de l’article 1.3 du règlement, excluant les cartes commerciales du plafonnement de l’interchange. Le Groupement des Cartes Bancaires a fait le choix de plus que tripler le niveau de la commission d’interchange applicable à ses cartes commerciales. Selon nos informations, celle-ci passera de 0,28 % en moyenne à une commission variable équivalente à 0,90 % de la valeur de chaque transaction.

Cette dérogation au plafonnement de l’interchange promet d’augmenter significativement le coût des encaissements par cartes bancaires de nombreux commerçants qui traitent une part importante de cartes commerciales. Les hôteliers, les sociétés d’autoroutes, les exploitants de parkings, les distributeurs de carburants, les transporteurs, les voyagistes, les loueurs de voitures et certainement d’autres secteurs, sont concernés.

Des promesses de baisse de l’interchange à la trappe

L’objectif global de baisse des commissions d’interchange semble menacé par cette exception sur les cartes commerciales, dont la part de marché dans les encaissements monétiques nationaux se révèle substantielle.

En se fondant sur un montant de 420 milliards d’euros de paiements par carte traités en 2014 par le Groupement des Cartes Bancaires, la réduction du 5 points de base du niveau de l’interchange (qui passe de 0,28 % en moyenne à 0,23 % au 9 décembre 2015) promettait de faire baisser de 210 millions d’euros sur un an le montant des commissions que les banques se reversent entre elles.

Mais si les cartes commerciales représentent 5 % du parc de cartes émises par le Groupement, et en faisant l’hypothèse que le montant moyen des paiements effectués à partir d’une carte commerciale est équivalent à celui du reste du parc (ce qui reste à vérifier), la baisse ne sera que de 70 millions d’euros.

En effet, avec 5 % du parc de cartes échappant au plafonnement, la baisse du montant global de l’interchange sur les cartes de débit et de crédit induite par le règlement serait ramenée à 200 millions d’euros. Dans le même temps, la hausse significative de la commission d’interchange sur les cartes commerciales entérinée par le Groupement des Cartes Bancaires, se traduirait par une augmentation de 130 millions d’euros des commissions d’interchange.

La décision du Groupement des Cartes Bancaires traduit une volonté de proposer aux banques émettrices des conditions attractives sur les cartes commerciales, face à la concurrence des réseaux Visa et Mastercard, qui appliquent des niveaux d’interchange encore plus élevés sur les cartes de paiement commerciales (entre 1,35 % et 1,50 % en France).

Dérive des coûts d’encaissements monétiques

A partir du 9 décembre, les commerçants vont devoir assumer des coûts qu’ils ne maîtrisent pas. La possibilité de refuser les cartes commerciales, inscrite au règlement, ne sera applicable qu’à compter du 9 juin 2016, à supposer qu’un tel refus soit économiquement et commercialement possible, ce qui est très improbable. Par ailleurs, l’identifiant permettant de filtrer les cartes commerciales au niveau du terminal n’est pas encore disponible.

L’exception accordée aux cartes commerciales induit un risque de dérive des coûts d’encaissements monétiques que les commerçants n’auront d’autre choix que de répercuter sur le prix final payé par le consommateur. Ce risque va à l’encontre des objectifs affichés par le gouvernement et l’Union européenne en matière de réduction des coûts.

Les grands commerçants, rompus à la négociation avec les banques sur le coût des moyens de paiement, peuvent escompter qu’une partie de la baisse de l’interchange sur les cartes de débit, les cartes de crédit et les cartes universelles leur soit rétrocédée. Plus rares seront les petits commerçants qui exigeront (et certainement encore plus rares ceux qui obtiendront) cet ajustement des frais d’encaissement par carte à la baisse, fut-il légitime. A contrario, il y a fort à parier que les banques ne manqueront pas de les informer que leurs coûts d’encaissement sur les cartes commerciales ont significativement grimpé…

Le surcharging en unique recours

Les recours des commerçants face à cette situation paraissent minces. Selon nos informations, l’Association française des trésoriers d’entreprises, par le biais de sa commission monétique et moyens de paiement, a fait part de ses craintes auprès de la Direction Générale du Trésor. Cette action, à laquelle se sont jointes plusieurs entreprises, est également relayée par la Fédération Commerce-Distribution (FCD) et Mercatel.

Après la publication du règlement, Bercy ne dispose toutefois pas d’instrument juridique pour encadrer la tarification des cartes, du moins à court terme. Les cartes commerciales font partie des points couverts par la clause de réexamen du règlement européen. La Commission doit préparer pour le 9 juin 2019 au plus tard un rapport d’évaluation qui portera notamment sur : « l’effet sur le marché de l’exclusion du chapitre II des cartes d’affaires, en comparant la situation dans les États membres où la majoration est interdite et celle dans les États membres où elle est autorisée ». Cette révision au contenu incertain constitue une échéance bien lointaine, si les craintes des commerçants s’avèrent fondées !

Le seul point sur lequel la Direction Générale du Trésor semble en mesure d’apporter des garanties concerne la définition des cartes commerciales inscrite au règlement européen. La Commission a récemment été alertée de la tentation des banques émettrices, en particulier aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, d’assimiler à des cartes commerciales certaines cartes affaires débitant le compte du porteur (le salarié). La réponse de Bruxelles a été claire. Le débit de la carte doit obligatoirement être directement réalisé sur le compte de l’entreprise pour que celle-ci soit considérée comme une carte commerciale, et échappe de fait aux dispositions du règlement plafonnant l’interchange. Ce point a été rappelé à la France.

A minima, Bercy serait fondé à demander des données chiffrées sur le poids des cartes commerciales dans les paiements traités par les différents réseaux, de manière à instituer un suivi, à l’heure où les commerçants s’inquiètent d’un possible développement d’une offre de cartes commerciales ciblant les professions libérales.

Refuser les cartes commerciales ne semble pas constituer une réponse adaptée à l’augmentation des coûts pour les commerçants. Le parc de cartes commerciales déjà en circulation est trop significatif pour prendre le risque de perdre une partie de la clientèle et du chiffre d’affaires. En revanche, pratiquer le surcharging sur cette catégorie de cartes pourrait constituer une alternative acceptable. Une disposition de la nouvelle Directive sur les Services de Paiement prévoit d’autoriser le surcharging. Toutefois, cette législation européenne ne sera pas transposée en droit français avant deux ans.

Sans attendre, Bercy pourrait néanmoins agir. Certes, l’ordonnance du 15 juillet 2009 transposant la première Directive sur les Services de Paiement interdit à tout bénéficiaire d’appliquer de frais pour l’utilisation d’un instrument de paiement donné. Toutefois, l’article L.112-12 nouvellement créé du Code Monétaire et Financier prévoyait la possibilité de déroger à cette interdiction « dans des conditions définies par décret, pris après avis de l’Autorité de la concurrence, compte tenu de la nécessité d’encourager la concurrence et de favoriser l’utilisation de moyens de paiement efficaces ». A ce jour, aucune disposition n’a été prise en ce sens. Tout est question de volonté.

Recevez nos publications

Select your location