Output floor, planchers de LGD, disparition de la méthode avancée : les nouvelles règles prudentielles Bâle III finalisé, désormais en vigueur, redéfinissent le calcul des exigences en fonds propres pour les banques. Yassine El Ouazzane et Muriel Nahmias reviennent sur les grands principes du dispositif et expliquent les implications concrètes pour les entreprises.
Qu’est-ce que la règle d’output floor ?
L’output floor est une disposition introduite lors de la finalisation de l’ensemble des règles prudentielles Bâle III applicables au secteur bancaire. Il vise à encadrer l’utilisation des modèles internes par les banques pour le calcul de leurs actifs pondérés par les risques (RWA).
Sa vocation est de limiter la variabilité excessive des RWAs entre banques pour des portefeuilles similaires. En effet, plusieurs études du Comité de Bâle, corroborées par d’autres, de la BCE notamment, ont mis en évidence la vision exagérément optimiste de certaines banques sur le paramètre LGD (perte en cas de défaut) intégré aux modèles.
Concrètement, l’output floor impose que les RWA calculés selon les modèles internes ne puissent pas être inférieurs à 72,5 % des RWA obtenus via l’approche standardisée. Il s’agit donc d’un plancher réglementaire applicable aux modèles internes. Il est à noter que le ratio de 72,5 % est le niveau final, mais la mise en œuvre de l’output floor a débuté cette année et sera progressivement renforcée chaque année jusqu’en 2030.
Pour donner un exemple concret, si une banque calcule un RWA de €100 M en regard d’un engagement via ses modèles internes et que l’approche standardisée donne €160 M, le floor sera en 2030 de 72,5 % x €160 M = €116 M. La banque devra donc retenir ce montant, même si ses modèles internes produisaient un niveau plus bas.
L’output floor est complété par des planchers de LGD (exemple 25% sur les expositions senior unsecured) et de PD (probabilité de défaut – 5%). Par ailleurs, Bâle III finalisé aboutit à la suppression de la méthode avancée pour les grandes entreprises. Désormais, il n’y a plus qu’une seule méthode interne.
Pouvez-vous rappeler les différences entre modèle interne et approche standardisée dans le calcul des exigences en fonds propres en matière de prêts ?
Le modèle interne, basé sur des notations internes, permet de modéliser plus finement les risques de crédit (probabilité de défaut – PD, perte en cas de défaut – LGD, etc.).
L’approche standardisée repose sur des pondérations réglementaires fixées selon que la contrepartie dispose ou non d’une notation externe d’une part, et en fonction du niveau de cette notation externe d’autre part.
Quel est l’impact attendu de l’entrée en vigueur des nouvelles règles sur la capacité des banques à octroyer des prêts ?
Logiquement, les nouvelles règles vont peser sur la rentabilité des opérations des banques qui avaient largement minoré les niveaux de LGD dans leur modèle interne. L’output floor est cependant mis en œuvre progressivement, avec un plancher initial de 50 % en 2025, qui augmente par paliers annuels de 5 %, jusqu’à atteindre les 72,5 % définitifs en 2030.
En Europe, les banques japonaises réduisent depuis plusieurs mois la voilure suite à la décision de leur régulateur de n’utiliser plus que la méthode standard. Les banques américaines, dont certaines études prédisent une hausse notable des exigences de capital réglementaire liées à Bâle III finalisé, n’ont pas encore d’horizon pour l’entrée en application. Pour les banques européennes, il convient de rappeler que les changements de règles relatives à l’utilisation des modèles internes sont connus dans leurs grandes lignes depuis 2017, même si le Règlement européen ne s’applique que depuis janvier 2025. Les banques qui, il y a dix ans, avaient été pointées par les régulateurs pour l’hétérogénéité des LGD, ont sans doute eu le temps de corriger le tir et restaurer la confiance dans leurs modèles internes.
Quelles réponses un corporate peut-il apporter pour limiter l’impact de Bâle III finalisé ?
Il est toujours bienvenu de montrer que l’entreprise comprend les nouvelles contraintes qui s’imposent à ses partenaires bancaires, de manière à renforcer le dialogue et co-construire des solutions adaptées. Selon son profil de crédit, la direction financière peut explorer une notation externe. Une catégorie investment grade permettrait aux banques de lui appliquer une pondération de risque plus favorable dans le cadre de la méthode standard. À l’inverse, pour certaines entreprises non notées, rester non-noté peut s’avérer plus avantageux.
Recourir à la dette privée, à la titrisation ou à l’affacturage permet de réduire la dépendance au crédit bancaire traditionnel. A ce titre, la diversification des sources de financement devient un levier stratégique. Enfin, en renforçant les garanties offertes aux prêteurs, une entreprise peut améliorer son profil de risque et accéder à de meilleures conditions de crédit, même dans un contexte prudentiel plus contraint.