Le 4 mars, Redbridge accueillait pour une nouvelle émission de L’Espresso le directeur financements-trésorerie de la Compagnie des Alpes, Arnaud Winkelmann, afin d’échanger sur les thèmes des financements et du cash management en temps de crise. Au menu des discussions : stratégie de financement, PGE, waivers, mais également économies, monétique et cash management. Compte-rendu.

– Il y presque un an, le 14 mars 2020, le Premier ministre Edouard Philippe annonçait aux français la fermeture de tous les lieux recevant du public, non indispensables à la vie du pays. Qu’est-ce que cela signifiait pour la Compagnie des Alpes ?

–  Arnaud Winkelmann – Compagnie des Alpes : Ce discours du 14 mars a signifié l’arrêt brutal de nos activités. Pour restituer en quelques mots, Compagnie des Alpes est un groupe leader du secteur des loisirs en Europe. Nous exploitons les plus grands domaines skiables des Alpes françaises – Tignes, Les Arcs, La Plagne (Paradiski), Val d’Isère, etc.

Nous exploitons également des parcs de loisirs comme le parc Astérix, le Futuroscope, le Musée Grévin et nous sommes présents sur des métiers complémentaires tels que l’hébergement et la vente de voyages. On peut citer Travelfactory, spécialiste de la location de vacances et de l’organisation de séjours en groupe.

Lorsque le samedi 14 mars au soir, le Premier ministre a annoncé la fermeture des domaines skiables pour le lendemain, tous ceux qui étaient venus pour passer la semaine dans un de nos domaines se sont trouvés privés de remontées mécaniques. Quant à nos parcs de loisir, nous pensions qu’ils pourraient rouvrir début juin, mais rapidement, nous avons songé à sauvegarder notre liquidité. Après deux à trois semaines de confinement, nous avons regardé les PGE (prêts garantis par l’Etat) et étudié différents scénarios pour assurer la liquidité du groupe.

– Quelle était votre situation de liquidité à l’entrée de ce premier confinement ?

– De mémoire quand nous sommes entrés dans la crise, la Compagnie des Alpes avait des liquidités disponibles, à hauteur d’environ €320 m, incluant une ligne de découvert qui n’était pas confirmée à l’époque.

– Comment se composait votre structure de dette ?

– Les financements de Compagnie des Alpes se composaient d’un crédit syndiqué de €250 m, non tiré; de quelques lignes bancaires bilatérales sous forme de term loan amortissables, pour un capital restant dû de €87 m; de découverts bancaires pour un peu moins de €150 m; de dette obligataire avec deux Euro PP pour un total de €145 m et deux USPP pour  un total de €115 m.

– Quelle fût votre première action pour assurer votre liquidité ?

– Nous avons immédiatement dressé des projections, en faisant des estimations de réductions des coûts, en processus bottom-up. Les sites nous ont transmis des prévisions sur la base d‘hypothèses que nous avions harmonisées. Ces données ont été examinées, consolidées afin de pouvoir calculer les prévisions de trésorerie suivant trois scénarios : un scénario high, un middle et un low.

Notre objectif a toujours été de sécuriser auprès des banques des liquidités pour faire face au scénario low, c’est-à-dire le plus dégradé.

– Qu’est-ce que cet exercice a révélé ?

– En menant nos projections, nous nous sommes très vite aperçus que le scénario le plus dégradé s’accompagnait de tensions sur les convenants. Nous avons donc choisi de mener une stratégie en deux temps. D’abord mettre en place un PGE permettant d’assurer liquidité du groupe. Ensuite, demander des waivers bancaires et des waivers obligataires.

– Pourquoi ce choix de procéder en deux temps ?

– Nous voulions sécuriser la liquidité sans attendre, et nous avons jugé que les demandes de waivers prendraient plus de temps. Nous étions dans l’incertitude sur la réouverture de nos parcs de loisirs à l’été. Nous avions besoin de plus de visibilité sur nos projections, avant d’aller revoir nos prêteurs bancaires et obligataires. Il nous fallait des éléments plus concrets.

– Vous avez donc lancé au printemps le projet PGE. Comment cela s’est-il déroulé ?

– Nous avons commencé par regarder à quel PGE nous étions éligibles : process de masse ou process Trésor ? Nous devions en comprendre les différences. Lorsque nous avions des doutes, nous nous rapprochions du Trésor et de la BPI.

En fait, nous étions un peu à la frontière entre PGE de masse et PGE Trésor. Finalement, avec à peine moins de 5.000 ETP, nous avons été éligibles au PGE de masse. Nous avons ainsi certainement gagné un mois sur le calendrier, par rapport à un PGE Trésor.

– Vous avez donc pu passer à l’étape deux de votre plan. Dans quel contexte avez-vous lancé les discussions sur les waivers ?

– Fin juillet, nous avons débuté les discussions sur les waivers et celles-ci se sont prolongées jusqu’en septembre. Ça a été très long, mais le fait d’avoir attendu l’été nous a permis de démontrer plusieurs éléments. Dès la réouverture, nos sites ont connu une fréquentation élevée malgré l’absence de commercialisation pendant le confinement ; ceci confirmait la demande pour nos produits malgré des règles sanitaires contraignantes. La satisfaction client était toujours aussi bonne. Nos hôtels ont connu cet été un taux d’occupation supérieur à 90 %, un chiffre équivalent à celui de 2019 malgré une croissance de 50% du nombre de lits par rapport à l’année précédente. Nos paniers moyen ont également connu une croissance forte, malgré les conditions d’exploitation adverses (notamment dans la restauration)

Tout ceci nous a permis de confirmer que la reprise de l’activité serait bonne, à condition que nous puissions rouvrir.

– Quel a été l’impact du premier confinement sur le chiffre d’affaires ?

– Nous clôturons en septembre. Notre chiffre d’affaires est passé de 854 millions d’euros en 2018-2019 à 615 millions d’euros en 2019-2020. Soit une baisse de 28%.

– Quelles garanties supplémentaires les prêteurs obligataires ont-ils exigé  ?

– Nous avons mis en place des covenants substitutifs avec nos investisseurs obligataires : une limite de liquidité confirmée mensuelle minimum mois par mois, un plafond de DFN de 850 millions d’euros, un plafond de CAPEX sur douze mois glissant limité à 190 millions d’euros.

– Et les prêteurs bancaires ?

– Les banques ne nous ont rien demandé, seuls les obligataires ont exigé des garanties. Dès le mois de mars 2020, le sentiment que nous avions était que les banques avaient ouvert les vannes et activé une levée quasi automatique des covenants.

– Les banques ont-elles été à vos côtés durant cette crise ?

– Complètement. D’abord, nous avons été sursouscrits dans le PGE mis en place au printemps. Le fait de ne pas avoir de banques étrangères à notre pool a certainement facilité la compréhension du sujet.

Ensuite, lorsque nous nous sommes rendus compte que l’enveloppe du PGE ne serait pas suffisante, les banques nous ont accompagné dans la mise en place d’un PGE saison, à l’automne. Des banques qui n’étaient pas dans notre pool nous ont aussi proposé de la liquidité PGE.

– Comment s’est déroulée la mise en place du PGE saison ?

– Le PGE Saison a été un poil plus compliqué à mettre en place parce que nous défendions un scénario low et que nous voulions lever le maximum de liquidités possible. Dans notre scénario low, nous intégrions une saison blanche sur le ski. Il a fallu défendre fermement ce scénario mais l’histoire nous a plutôt donné raison.

– Au final, quelle enveloppe avez-vous levé sur le dispositif PGE ?

– Nous avons souscrit deux PGE pour un total de 469 millions d’euros.

– Au cours de l’année écoulée, vous n’êtes pas resté uniquement centré sur la sauvegarde de la liquidité, puisque vous avez également mené un projet d’optimisation de la monétique et du cash management…

– Oui, c’est vrai que durant cette crise, nous avons également eu le temps de lancer un appel d’offres monétique et cash management pour réaliser des économies.

Nous voulions baisser nos coûts d’acquisition sur la monétique. Nous avons lancé une consultation pour adopter un système de facturation pour nos cartes de type MIF ++ (basé sur le niveau de la commission d’interchange). Nous avons donc fait à la fois l’étude de coûts / économies et des audits qualitatifs pour trouver des axes d’amélioration à l’organisation de la monétique au sein du groupe.

– Quelle était la genèse du projet monétique ?

– La monétique n’est pas traitée de manière uniforme au sein de la Compagnie des Alpes et présente des pistes de simplification comparativement à d’autres organisations pour lesquelles j’ai pu travailler dans le passé. Le sujet cartes s’est construit au fil des ans. Notre monétique ne suit pas une organisation centralisée et personne ne détient toute l’information au niveau du groupe, même si une cohérence est respectée au sein de chaque domaine d’activité.

Nous avions fait appel au conseil externe de Redbridge pour un avis fort afin d’intégrer des bonnes pratiques et uniformiser notre architecture monétique. Plusieurs évolutions réglementaires, notamment les règlements sur l’interchange, et la perspectives d’économies substantielles nous ont permis de lancer le projet très vite.

Les appels d’offres lancés ces derniers mois devraient nous permettre de réduire de 20 % le coût de notre monétique et du cash management.

– Quel schéma cible avez-vous mis en place ?

– Nous nous sommes d’abord concentrés sur les économies. La réflexion menée sur l’architecture cible pour organiser de manière uniforme la monétique au sein du groupe a été reportée, mais, a priori, nous allons rester sur un schéma d’acquisition bancaire.

L’enjeu principal de la monétique est d’avoir un processus fluide et sans traitement manuel (en un mot : moderne), capable de faire de l’omnicanal et de capitaliser sur les opérations menées par le département marketing. On peut rester sur un schéma bancaire et construire quelque chose de bien. Mais cela nécessite l’écriture d’un cahier des charges détaillé lors de l’appel d’offres. Cela a par ailleurs l’avantage de préserver ses relations bancaires.

– Vous avez sécurisé votre liquidité et réalisé des économies. Maintenant, quels sont les chantiers du DFT de la Compagnie des Alpes ?

– La question qui nous occupe à présent est : que faisons-nous de nos PGE ? C’est un bon financement, pas cher actuellement. Est-ce que nous les prorogeons et comment nous les amortissons ? Les remboursons-nous et les refinançons-nous ? Tout cela va dépendre des trajectoires de reprise, des anticipations et des évolutions de cette crise.

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