Mihai Andreoiu, senior director chez Redbridge, analyse les tendances du financement du commerce des matières premières et juge que le retour de la croissance sonne le moment de faire fructifier ses relations avec les banques résilientes et d’élargir son horizon auprès de nouveaux partenaires financiers.

Après avoir assisté à Genève aux conférences TXF et GTR dédiées au financement du commerce international, j’ai grandement apprécié ce sentiment de retour à la normale après 18 mois d’événements professionnels en mode virtuel. Ce que j’ai apprécié plus encore, fut de constater que la préoccupation du moment n’était pas celle de gérer les prêts à problèmes, mais bel et bien de garantir la liquidité et l’appétit pour le risque des sociétés de négoce de matières premières. L’impressionnante hausse des volumes d’échanges et des prix engendrée par la reprise post-COVID a complètement changé la donne pour les commodity traders et leurs banquiers.

Il y a longtemps, lorsque j’étais banquier, le plus grand risque était la faiblesse persistante des prix des matières premières, menant à une sous-utilisation des lignes de crédit octroyées, autour de 20-30%, et à des revenus en berne pour mon département. Ajoutez au tableau un environnement de faibles taux d’intérêts et des maigres revenus coté banque transactionnelle vis-à-vis des commodity traders, et la réponse de la direction générale tombait de manière implacable : réduisons les coûts. Un raisonnement court terme, certes, mais pas dénué de logique!

La pandémie qui a durement frappé plusieurs sociétés de négoce de matières premières et qui a entraîné des milliards d’euros de pertes pour les principales banques de financement du commerce et certains prêteurs directs spécialisés a accéléré le repli des banques. Il y a un an, certaines banques se retiraient complètement du financement du commerce des matières premières, tandis que d’autres réduisaient la voilure dans le cadre d’une « fuite vers la qualité » (probablement l’une des expressions les plus mal utilisées dans la finance et la banque modernes). Là encore, il s’agissait d’une vision à court terme!

Boom du commerce

Douze mois plus tard, le monde est à nouveau en plein essor. Les négociants en matières premières ont appris à jouer de la fonction accordéon de leurs crédits syndiqués. Avec des prix des matières premières de 50 à 100 % supérieurs à ceux d’il y a un an, la liquidité est à nouveau reine – en particulier pour les négociants qui ont des appels de marge élevés. Comme la hausse des prix va de pair avec l’augmentation des volumes, l’utilisation des lignes a également doublé – ou plus – au cours de l’année écoulée. Les bénéfices grandissent pour les sociétés de négoce, comme pour les banques, qui s’attendent à signer leur meilleure exercice depuis une décennie.

Mais le chemin n’a pas été facile. Les banques ont alloué beaucoup de fonds propres à d’autres activités et ont réduit leurs effectifs, tout en continuant à se débattre avec des exigences croissantes de KYC. Comme nous l’évoquions il y a un an, les banques résilientes récoltent aujourd’hui les fruits du rebond actuel des volumes et des prix sur les marchés de matières premières et ont passé avec succès les tests de résistance.

Les « sortants » sont devenus des spectateurs et révisent maintenant leur approche. Une grande banque d’investissement européenne envisage même de revenir dans le jeu après s’être retirée il y a huit ans par crainte du risque de réputation. Que penser des acteurs qui vont et viennent ?

Le boom actuel est-il durable?

Si la reprise économique et la demande de matières premières se maintiennent, la pression sur la liquidité sera constante pour les négociants. Le fameux déficit de financement du commerce mondial, mesuré par la Banque asiatique de développement, a bondi le 12 octobre dernier de 1 500 à 1 700 milliards de dollars. Cet accroissement témoigne de l’incapacité des prêteurs à suivre la croissance des besoins. Cet écart est probablement beaucoup plus important en réalité, compte tenu du faible appétit persistant pour le risque émergent.

Tout cela signifie que les négociants en matières premières devront à la fois se battre pour obtenir des liquidités bancaires et accéder à de nouvelles sources de capitaux, généralement plus coûteuses, telles que les fonds, les marchés de capitaux, les family offices et les fonds d’investissement privés. Ces derniers représentent une diversification saine et une confrontation avec la réalité, faisant augmenter le coût moyen des financements.

Dans le même temps, la concurrence pour la liquidité bancaire ne doit pas engendrer un surcoût chez les acteurs établis. Plus qu’hier, il faut connaître chaque acteur, savoir quel est le juste prix à payer pour rémunérer leur risque et comment cela se traduit en capital réglementaire pour eux. Les normes prudentielles Bâle IV (ou finalisation de Bâle III), attendues pour janvier 2023, sont encore en cours d’élaboration et pourraient réserver d’autres surprises sur le coût du financement du commerce (attention aux facteurs de conversion de crédit et aux niveaux de perte en cas de défaut!).

Toute banque est la somme de son personnel et de son modèle économique

Comme je le mentionnais dans un article il y a quelques années, plus les sociétés de négoce de matières premières comprennent ce qui motive la perception du risque chez leurs banquiers, plus elles ont de chances d’augmenter leur appétence à prêter à moindre coût. Souvent, la perception fait la réalité. La perception du risque de votre chargé de compte, et plus encore celle de son département des risques, sera votre réalité lorsqu’il s’agira de vos lignes liquidités et du coût de vos emprunts.

Consacrez-vous suffisamment de temps à améliorer cette perception, ou pensez-vous que c’est le travail chez vous du responsable des relations bancaires de rédiger tous ces mémos, d’effectuer une analyse des risques et de s’assurer que vous recevez une offre optimale ? Ce qui détermine l’appétit des banques pour le risque reste un sujet toujours d’actualité ! Votre banquier vous aidera-t-il à faire fructifier votre relation et à améliorer sa rentabilité sur une base pondérée en fonction du risque ? Le sujet revient in fine à pouvoir vous accorder davantage de crédits.

Dans le même ordre d’idées, lier les financements aux commodity traders avec les indicateurs clés de performance ESG de la banque devient la nouvelle norme. Il y a une profonde réflexion à mener pour savoir comment récompenser ou punir les entreprises en fonction de leur positionnement ESG, via leur coût de financement. Une chose est certaine : le malus ne doit pas être conservé par les banques. Au-delà, les entreprises de négoce doivent embrasser le changement et apprendre en marchant, sans peur de remettre en question le point de vue des prêteurs dans l’élaboration des lignes directrices ESG du financement du commerce des matières premières.

Diligence

Après ce rapide revirement de situation, de l’effondrement au rebond, les directeurs financiers et les trésoriers des négociants en matières premières doivent poursuivre leur travail de diligence de longue haleine auprès de chaque banque ! D’une manière ou d’une autre, que les prix continuent de grimper ou que la demande diminue dans la nouvelle année, c’est maintenant le meilleur moment de capitaliser sur la confiance avec les banques résilientes, tout en continuant à élargir son horizon auprès de nouveaux partenaires financiers.

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