Face au constat d’une relation durablement érodée avec son partenaire bancaire américain, le spécialiste des emballages Albéa a revu entièrement l’organisation locale de ses financements et services de cash management. Entretien avec le directeur financements-trésorerie du groupe, Olivier Bouillaud.

 

– Pouvez-vous nous présenter en quelques mots les activités d’Albéa ?

– Albéa fabrique des emballages et des solutions de beauté du quotidien : tubes, rouges à lèvre, mascaras, applicateurs, des packagings remplis avec formules, des sacoches que l’on peut retrouver dans les avions, et bien plus encore. Nous servons des marques prestigieuses, des marques émergentes, des marques locales ou internationales. Depuis la cession en juin 2020 de nos activités pompes cosmétiques (Dispensing), notre chiffre d’affaires annuel s’élève à 1,2 milliard de dollars. Notre groupe emploie 12.000 collaborateurs répartis sur 31 sites industriels, en Europe, en Amérique du Nord et en Amérique du Sud, en Chine, en Inde et en Indonésie.

L’histoire de notre groupe a débuté au sein de Pechiney, puis d’Alcan, avant notre rachat en 2010 par Sun Capital Partners, puis en 2018 par PAI Partners. Cette histoire est jalonnée d’acquisitions structurantes venues renforcer notre croissance organique, notamment celles de Rexam Packaging en 2012, qui a participé à l’accélération de notre développement aux Etats-Unis, puis des deux entités Orchard et Fasten l’an dernier (produits promotionnels et services).

 

– Comment la fonction financement-trésorerie est-elle organisée chez Albéa ?

– La fonction financement-trésorerie s’organise autour d’une équipe de trésorerie centrale à Paris composée de trois personnes, qui s’appuie sur des relais locaux en Inde, en Chine, en Indonésie et aux Etats-Unis pour faire vivre la centralisation sans relation hiérarchique. Chaque directeur financier dispose d’autonomie, avec la capacité de consulter des banques en local. Nous souhaitons conserver cet esprit entrepreneurial et permettre à nos correspondants d’évoluer librement dans un cadre et des process définis. C’est une organisation basée sur la confiance, la reconnaissance et l’appréciation mutuelle qui fonctionne bien.

La trésorerie centrale intervient en appui pour apporter sa connaissance et son expérience. Nous aidons chacun à faire le reporting indispensable au suivi de l’activité pour la direction générale. Nous fournissons également les outils. A cet égard, le déploiement, en cours d’achèvement, d’un système de trésorerie (TMS) pour le groupe participe à la sécurisation et l’homogénéisation des process de trésorerie entre les pays et les lignes métier.

En ce qui concerne les financements, la dette à moyen-long terme du groupe est centralisée au niveau de nos holdings luxembourgeoises. Notre priorité est surtout de financer le besoin en fonds de roulement de nos filiales. Nous disposons pour cela de quatre cash poolings – en Europe, aux Etats-Unis, en Chine et en Indonésie – et des programmes de factoring en Europe et, jusqu’à récemment, d’un Asset Based Lending (ABL) aux Etats-Unis. En Chine, notre programme d’affacturage est sommeil, car la trésorerie de notre filiale est excédentaire. Le financement du besoin en fonds de roulement nous permet de gommer les décalages entre nos encaissements et nos décaissements, et in fine de piloter au mieux les stocks. C’est indispensable dans nos métiers.

 

– Quels principes guident vos relations bancaires ?

– Nous cherchons à nouer des relations stables, avec des partenaires bancaires capables de fournir des prestations de cash management de qualité, en lien avec les besoins locaux, et qui resteront établis durablement. Nous travaillons encore aujourd’hui avec trop de banques à travers le monde – une trentaine en tout. Notre structure de compte bancaire mériterait d’être allégée pour passer moins de temps à faire de la réconciliation, limiter les risques opérationnels, de fraude et libérer l’emploi du temps aux équipes pour des projets à plus forte valeur ajoutée. La cible idéale serait d’avoir deux banques locales et une banque internationale dans chaque grande géographie où nous sommes présents.

L’adoption de notre système de trésorerie nous a poussé à rationnaliser notre environnement bancaire dans l’objectif de limiter la multiplication des contrats, des licences, des implémentations d’une part, et de concentrer notre side-business d’autre part.

 

– Quels étaient les enjeux de votre récent appel d’offres flux aux Etats-Unis ?

– Aux Etats-Unis, où nous réalisons un quart de notre chiffre d’affaires, nous n’avions qu’une seule banque. La relation existait depuis une dizaine d’années. Nous étions satisfaits de la qualité des prestations de cash management, mais la relation s’est tendue sur le fonctionnement de notre programme d’ABL. Ce financement collatéralisé, d’une soixantaine de millions de dollars, est assorti de nombreuses contraintes – des do’s and don’t – nécessitant l’accord du partenaire bancaire américain sur notre stratégie de développement. Nous avions un peu l’impression d’avoir à notre conseil d’administration une banque dont l’équipe échouait à comprendre nos enjeux.

Rembourser l’ABL supprimait toutes nos obligations à leur égard et facilitait toutes nos opérations de M&A.  Nous avons donc remboursé la dette et payé les commissions, en mettant en place un financement interco. Cela a déclenché en retour l’envoi immédiat d’une termination letter. Nous avions 120 jours pour partir. La priorité fut alors d’avertir nos clients et de lancer la sélection d’un nouveau partenaire bancaire pour les dix ans à venir.

 

– Comment avez-vous remplacé votre programme d’ABL ?

– Avoir un financement de sa banque de flux est un confort, mais n’est pas indispensable. Après la cession en juin 2020 de plusieurs actifs aux Etats-Unis, la mise en place d’un nouveau financement n’était plus une urgence. Nos filiales américaines n’ont pas de dette et le produit des cessions écarte les besoins de trésorerie à court terme. L’ABL fournit une base de financement importante, sur les factures et les stocks, dont nous n’avions plus forcément autant besoin.

Compte-tenu de l’enveloppe de financement nécessaire pour les trois prochaines années aux Etats-Unis, nous avons décidé de nous affranchir des contraintes juridiques, d’organisation, de structuration et de liens (garanties, cross garanties, obligors) de l’ABL. Nous éviterons ainsi les affres de la relation avec notre ancien partenaire bancaire.

Nous avons basculé naturellement vers un factoring, qui constitue une solutions plus légère, plus simple, pas trop chère. Ce nouveau financement est confirmé à trois ans, comme notre programme européen. C’est une ressource stable, du point de vue des agences de notation. Enfin, aux Etats-Unis, le factoring est considéré comme true sales – sans recours, et donc déconsolidant, ce qui présente un avantage supplémentaire.

 

– Sur quels critères s’est fondée la sélection de votre partenaire de cash management ?

– Nous souhaitions de préférence un partenaire américain, 100 % compatible avec notre outil de communication bancaire et notre TMS. Nous cherchions également une banque reconnue de nos clients et fournisseurs. Nous voulions un partenaire connu et reconnu en interne, qui apporte une qualité de service identique à celle de notre ancienne banque de flux : capacité à mettre en place des lettres de crédit, des garanties de loyer, leasings, financements au-delà du factoring et un portefeuille de services le plus large possible.

La structuration de l’appel d’offres, mené par Redbridge, nous a permis de prioriser les sujets incontournables : lockboxes, lettres de crédit, compatibilité outils, forex, garanties du flux quotidien, génération de chèques dématérialisés. Nous avons construit notre cahier des charges en mode projet avec notre conseil, dont l’expertise a considérablement apporté. Grâce à cet appel d’offres qui a été mené rapidement et correctement, il fut finalement facile de se séparer d’un partenaire bancaire de dix ans. Nous avons été surpris par la capacité de Redbridge à nous mettre en relation avec des banques auxquelles nous n’aurions pas songé.

L’approche collaborative suivie par notre conseil a également facilité la décision finale. Nous avons fait adhérer nos filiales américaines, avant de proposer le choix final au directeur financier d’Albéa. Il n’y a pas eu d’hésitation dans notre sélection. Par ailleurs, si la priorité était de changer de banque, nous avons réalisé le niveau d’économies anticipé il y a deux ans, lorsque nous nous étions intéressés au sujet.

 

– Comment s’est déroulée la migration de vos flux vers votre nouvelle banque ?

– En mode projet. Notre partenaire bancaire a mis les moyens, en nous plaçant en contact avec tous les métiers. Le fait d’être contraints par le temps force à avancer. Une fois les comptes ouverts, nous avons d’abord circularisé l’information à nos clients, puis appelé chacun pour les prévenir du changement de banque. Heureusement que nous avions un intuiti personae fort avec notre clientèle américaine. Nous avons émis nos premiers paiements avec JP Morgan la semaine dernière. A part les chèques électroniques, pour lesquels nous ne sommes pas encore tout à fait prêts, nous avons rétabli la gamme de services bancaires permettant à notre entité américaine de fonctionner. Nous utilisons actuellement la plate-forme in-house de notre nouvelle banque, avant la connexion en fin d’année à notre outil de trésorerie.

 

– Et en ce qui concerne votre partenaire de financement ?

– Sur le programme d’affacturage américain, nous avons sélectionné Eurofactor, qui opère déjà notre programme paneuropéen et fournit un outil compatible avec notre TMS. Le caractère true sales s’accompagne de frais d’avocats supplémentaires, mais dans l’ensemble, le coût de notre ressource financière aux Etats-Unis a considérablement baissé par rapport à l’ABL préexistant. Petit bémol, les financements ne seront crédités qu’en valeur J+1.

 

– Quels sont les projets de la trésorerie d’Albéa désormais ?

– Toujours beaucoup de projets en cours ! Finir d’optimiser notre architecture de trésorerie avec notre TMS ; continuer de mettre en adéquation nos process internes de signataires et modes opératoires ; former les filiales qui entrent dans le périmètre de notre TMS ; et activer les nouveaux modules sur notre outil de trésorerie : netting, prévision de trésorerie, cash pooling, gestion de la dette, taux, change, etc. Nous entendons également nous préparer au mieux à d’éventuelles opérations de M&A, prochainement, en engageant une réflexion sur la structure de notre dette et le positionnement de notre profil de crédit (assureurs crédit et agences de notation).

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