Authentification forte, nouveau scheme carte européen, paiements instantanés… Le délégué général de Mercatel décrypte l’actualité de la monétique et les enjeux de l’année 2020 pour les commerçants européens. Selon lui, l’heure est au choix d’un modèle de financement qui permettra le développement des paiements en temps réel.

 

– Quels sont les grands sujets monétiques de l’année 2020 pour les commerçants ?

– Jean-Michel Chanavas, Mercatel : Les sujets monétiques ne manquent pas cette année ! Le plus important est sans nul doute l’obligation de se conformer avant le 31 décembre aux nouvelles règles d’authentification forte sur l’ensemble des achats en ligne. La mise à jour des systèmes d’information qui devront permettre d’authentifier les clients et d’autoriser ou non les achats exigera beaucoup de travail. Ce chantier ne manquera pas de questionner la stratégie de paiement de chaque commerçant en fonction de ses parcours clients.

Deuxième point, les commerçants devront être attentifs aux initiatives européennes en matière de paiements. Avec les encouragements de la Commission européenne, l’industrie bancaire se préoccupe enfin de faire émerger un scheme européen indépendant. Les contours du projet porté par une vingtaine de banques sont attendus prochainement.

Troisième point, les commerçants devront suivre la révision du règlement européen relatif aux commissions d’interchange sur les paiements par carte. Il faudra être vigilant sur les conséquences éventuelles de cette révision sur le niveau des commissions payées par les commerçants. Nous serons attentifs au sujet de l’interchange pour les cartes commerciales, qui nous semble anormalement élevé et qui obère une partie des économies décidées par l’exécutif européen sur les cartes de débit et de crédit.

Sur ces deux derniers points, transparaît en filigrane le sujet du financement des infrastructures de paiement et les modèles économiques. Certaines banques semblent craindre une réduction, voire une disparition des commissions d’interchange cartes.

 

– Quel est votre sentiment sur la préparation des acteurs à l’adoption des nouvelles règles d’authentification forte introduites par la DSP2 ?

– Je suis préoccupé. Au sein de l’association Mercatel, nous observons la complexité liée à l’adoption des nouvelles normes techniques de réglementation (RTS) introduites par la deuxième directive sur les services de paiement (DSP 2). Il y a un écart très important entre envoyer un SMS OTP et gérer un parcours client basculant d’un site et son application de paiement vers un application bancaire gérant l’authentification. Le niveau de sophistication de la solution devient très élevé. Il faut, par exemple, examiner si la transaction entre dans le périmètre de la réglementation ou s’il est possible de déroger aux règles. Il faut ensuite véhiculer cette information jusqu’à l’émetteur. Il en va de même pour demander l’application d’une éventuelle exemption.

Les commerçants estiment que le chantier de mise en conformité à la DSP 2 regroupe autant les obligations que les exemptions prévues par les RTS. Or, en janvier 2020, il n’existe toujours pas parcours de bout-en-bout opérationnel, gérant à la fois les obligations et les exemptions. Il reste beaucoup de travail. Les émetteurs ont un double défi : mettre à disposition des commerçants des outils d’authentification 3DS V.2 qui gèrent l’ensemble du périmètre de la DSP 2 d’une part, faire migrer les clients vers les méthodes d’authentification qui vont progressivement se substituer au SMS OTP d’autre part.

L’ensemble des acteurs doit évoluer de concert avec les difficultés inhérentes à une gestion de projet complexe. Les prestataires d’acceptation technique sont plutôt prêts. Les acquéreurs devront faire évoluer leurs outils, ainsi que les commerçants. Changer les habitudes des consommateurs prendra du temps. La transition implique de gérer une croissance des volumes, suivant un double process. Des solutions de « fallback » sont indispensables pour parer aux inévitables problèmes intrinsèques liés à la mise en place des nouveaux outils.

 

– Sur un autre sujet, où en est l’adoption du paiement instantané ?

– Le marché est très embryonnaire en France, contrairement à d’autres pays où il y a une offre, comme en Belgique où la montée en charge est très rapide. Nous avons probablement sous-estimé en France les difficultés de mise en œuvre et la priorité a clairement été donnée aux APIs d’accès aux comptes plutôt qu’à celles permettant l’initiation de paiement. Nous espérons qu’en 2020, les acteurs vont faire de plus en plus de virements instantanés, pour tester les solutions et enclencher une réelle dynamique.

L’arrivée d’un scheme intermédiaire à base de request-to-pay, actuellement discuté au niveau européen, favorisera le développement de l’initiation de paiement et des paiements instantanés. Ce scheme va par exemple établir un standard pour traiter des paiements multiples, qui ne sont pas nativement prévus dans les API, ni les systèmes de place comme celui de la STET. Ces fonctionnalités redonneront sans doute de l’espoir aux acteurs de l’industrie bancaire de trouver un business model pérenne pour le virement instantané.

Il semble que l’ensemble des établissements français teneurs de compte embrayeront sur la promotion du virement instantané lorsque les applications de paiement en peer-to-peer (face-à-face) seront opérationnelles. Carrefour a obtenu avec Market Pay le statut de PISP, ce qui montre que quelques acteurs s’intéressent au sujet.

La Commission européenne envisage de rendre obligatoire l’adoption du scheme SCT Inst par les banques. Cela marque une volonté politique de pousser ce moyen de paiement. Nous sommes en train de poser petit à petit les briques qui vont permettre d’habituer les gens à ce nouveau moyen de paiement. Enfin, l’augmentation prochaine du plafond de virement à 100.000 euros en France va également contribuer à l’adoption du SCT Inst dans la sphère B2B.

 

– Comment voyez-vous les efforts de l’industrie bancaire européenne pour lancer un nouveau scheme carte bancaire ?

– Par le biais de la fédération Eurocommerce, et en collaboration avec la Fevad et la FCD, Mercatel souhaite s’associer aux discussions autour du projet de scheme de carte bancaire européen baptisé EPI (ex-PEPSI). Le projet des banques sera présenté aux parties prenantes au premier trimestre. L’idée est de lancer un scheme fonctionnant en temps réel. Il est hautement probable que le modèle économique sera un modèle quatre coins, dans lequel l’émetteur est rémunéré. Il est probable que la Commission européenne sera sensible à l’argument de trouver un financement pour développer les infrastructures en temps réel qui sous-tendront ce projet.

Mercatel a toujours été ouvert à des discussions sur ce point dès lors qu’in fine les coûts baissent relativement aux montants échangés. Nous considérons que le développement des moyens de paiement électroniques permet de dégager des économies sur les moyens de paiement non dématérialisés. Ces gains doivent être pris en compte dans une équation économique globale. Nous sommes ainsi favorables à l’émergence d’un plan pour faire disparaître le chèque en s’appuyant sur les nouvelles capacités de dématérialisation. Or, en volume, la fraude sur les chèques a considérablement augmenté ces dernières années. Le coût de fonctionnement de ce moyen de paiement devient élevé pour les banques. Je pense qu’il y a une poche potentielle pour financer de nouvelles infrastructures ailleurs. L’enjeu est donc de proposer des moyens de paiements qui remplaceront le chèque. Le virement instantané fait bien sûr partie des alternatives possibles.

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