La norme IFRS 16 sur les contrats de location entrera en vigueur dans les comptes des exercices ouverts à partir du 1er janvier 2019. Son application va impacter de manière significative le levier d’endettement pour un groupe du SBF 120 sur deux. En conséquence, les emprunteurs les plus concernés doivent examiner sans attendre leurs documentations de crédit et les adapter le cas échéant.

Pour Muriel Nahmias, senior director chez Redbridge, « les entreprises pour lesquelles l’impact sur le levier sera relativement élevé doivent aménager leurs définitions financières et neutraliser l’impact de la nouvelle norme comptable sur la grille de marge et les clauses de défaut croisé ». Sont concernés en priorité les groupes qui ont des documentations de crédit dont les définitions financières sont basées sur les principes comptables en vigueur et pour lesquelles la neutralisation des changements comptables n’est pas prévue, ni pour le test des covenants ni pour les ajustements de la grille de marge. A contrario, ceux qui ont des financements dont l’échéance est lointaine et pour lesquels les définitions financières sont basées sur un référentiel comptable initial antérieur sont moins concernés. Ils peuvent attendre le refinancement, mais préempter le sujet peut également être une stratégie (prime à celui qui « tire » le premier) et constituer une opportunité de procéder à un « amend & extend ».

La norme IFRS 16 a vocation à améliorer la connaissance des investisseurs relative aux engagements de loyers de la société. Elle s’applique à toutes les locations d’une durée supérieure à douze mois d’un actif de valeur raisonnable (5.000 dollars ou 5.000 euros), présentées selon les règles actuelles en hors bilan. A partir de 2019, une location sera représentée à l’actif par un droit d’utilisation et au passif par une dette de location déterminée à partir de l’actualisation des paiements futurs. Le bilan de l’entreprise ainsi que le niveau d’endettement vont s’accroître en conséquence. En compte de résultat, la charge annuelle de loyers (qui est aujourd’hui une charge d’exploitation participant à la détermination de l’EBITDA) est remplacée par un amortissement de l’actif et une charge financière à un taux correspondant peu ou prou au coût moyen de la dette du groupe au jour de la conclusion du contrat.

Ceci va conduire à une importante modification des indicateurs de gestion financière : dette nette / EBITDA, dette nette / capitaux propres, ratio de couverture des frais financiers ou du service de la dette, coût moyen de la dette, qui pourraient être exprimés sur un périmètre hors locations et avec locations pour plus de lisibilité. Idem pour le calcul de la durée moyenne de la dette, ainsi que pour l’échéancier de la dette, sans parler des indicateurs du type décomposition de la dette en fixe-variable, par devise, etc.

L’Autorité des marchés financiers (AMF) souhaite que les entreprises publient des tendances chiffrées sur l’adoption de la nouvelle norme comptable en annexe des comptes 2018. La plupart des groupes cotés vont communiquer début 2019 à l’occasion des résultats 2018 sur l’état d’avancement de leur projet IFRS16 et les principaux impacts sur leurs comptes. Par ailleurs, quelques groupes appliqueront la norme par anticipation sur l’exercice en cours, ainsi qu’il leur est permis.

Plus de 100 milliards d’euros d’engagements pour le SBF 120

Selon la dernière étude de Redbridge sur le financement des grands groupes français, le montant total des engagements de loyers non actualisés des sociétés non financières de l’indice SBF 120 s’élevait à fin 2017 à 116 milliards d’euros. La charge annuelle à réintégrer à l’EBITDA ressort à 28 milliards d’euros selon les chiffres issus des rapports annuels 2017. Sur cette base, le levier net d’endettement des principaux groupes français cotés devrait progresser au global de 30 points de base, pour passer de 1,45x à 1,75x.

Cette hausse sera toutefois très dispersée entre les 111 sociétés non financières de l’indice SBF 120. Le levier augmentera de moins de 25 points pour 58 sociétés. A contrario, pour 12 groupes, la hausse sera supérieure à 75 points.

Pour les meilleurs risques, la nouvelle norme sera d’autant plus pénalisante que le taux d’actualisation des engagements à retenir sera aligné sur leur coût de financement relativement faible. « IFRS 16 soulève un sujet de lisibilité des comptes, qui peut être significatif, tout en n’étant pas nécessairement le bon reflet du profil de crédit », fait valoir Muriel Nahmias.

Adapter les documentations de crédit

« Paradoxalement, à ce stade, les prêteurs bancaires restent plutôt indifférents au sujet et auraient plutôt tendance à mener un exercice à rebours du retraitement intégral de la norme », observe Muriel Nahmias. Selon elle, les pratiques des sociétés qui ont sollicité leurs prêteurs récemment dans le cadre d’un avenant, d’un refinancement ou de la mise en place d’une nouvelle documentation financière vont dans trois directions. « La première est une solution temporaire, consistant à maintenir les principes comptables antérieurs au 1er janvier 2019. En général, les documentations contiennent un principe d’explication des écarts en cas de changement de normes comptables, via la communication aux prêteurs de tableaux de passage. La deuxième option consiste à exclure totalement l’impact lié à IFRS 16. Elle nécessite toutefois l’unanimité des prêteurs, étant donné l’ajustement de la grille de marge pour neutraliser l’impact prix qui en résulte. Enfin, les emprunteurs peuvent décider de maintenir tout ou partie de la dette loyer dans le covenant. Cette dernière option peut poser un problème d’affichage, dans la mesure où les bons risques sont pénalisés par le faible taux d’actualisation et qu’il réside une incertitude sur l’adaptation du marché à ce changement d’échelle. Une solution intermédiaire consiste dans ce cas à recourir à un multiple de loyer », conclut Muriel Nahmias.

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