Nous poursuivons notre série d’articles consacrés à la finance durable. Aujourd’hui, Muriel Nahmias, senior director – conseil en dette chez Redbridge, nous parle de la mise en place d’un Sustainable Linked Loan.

– Par quoi débute la mise en place d’un financement durable de type Sustainable Linked Loan (SLL) ?

– La mise en place d’un SLL débute par une réflexion sur les indicateurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) qui seront intégrés dans le financement. Tous les groupes, notamment les groupes cotés, ont aujourd’hui une stratégie en matière de responsabilité sociale et environnementale (RSE). Celle-ci est plus souvent déclinée en objectifs macro d’horizon moyen-long terme qu’en objectifs annuels.

Il convient de décliner la stratégie en objectifs chiffrés, illustrant la progression de l’entreprise sur les problématique ESG sur un pas annuel. Cet exercice demande entre un et deux mois de travail. C’est un projet transverse, qui concerne de nombreux départements de l’entreprise. La direction financière travaille généralement en direct avec la direction générale. L’enjeu est d’engager l’ensemble du groupe sur la voie de la finance durable.

Une fois ce travail mené, il est permis de négocier des avenants sur des financements existants pour y intégrer des indicateurs RSE, ou lors d’un refinancement ou d’un crédit syndiqué inaugural. Les indicateurs doivent être pertinents avec l’activité du groupe. Ils doivent aussi présenter un potentiel d’amélioration assez ambitieux, afin que la démarche soit reconnue par les prêteurs.

 

– Pour mettre en place un financement durable, une notation RSE ou une labellisation / certification de l’entreprise sont-elles indispensables ?

– La tendance actuelle est plutôt de se doter de critères extra-financiers propres à l’entreprise : en ligne avec la démarche RSE, matériels et impactants. L’important, c’est de disposer d’indicateurs pertinents sur ce que l’entreprise doit ou veut améliorer en matière ESG. Avec ces indicateurs, il est plus aisé de convaincre les prêteurs.

La notation n’est pas indispensable, mais peut se révéler utile dans certains cas. C’est un instrument pratique pour des groupes qui n’ont pas encore défini leurs critères en matière de développement durable. Il est possible de s’appuyer sur les notations non sollicitées qui sont fournies aux investisseurs actions. Il y a également des normes professionnelles et sectorielles qui fournissent des indicateurs. Le tout est plus ou moins reconnu par les prêteurs. Une certification type BCorp ou une notation sollicitée sont plus exhaustives, donc  jugée plus crédibles par les prêteurs. De plus du point de vue de l’emprunteur elles permettent un meilleur pilotage et une meilleure maîtrise des différentes composantes de l’indicateur.

 

– Les banques ont-elles une vision harmonisée des indicateurs présentés par l’entreprise ?  Leurs exigences convergent-elles ?

– Les banques partagent une vision plutôt homogène de ce qu’il convient de faire en matière de lutte contre le réchauffement climatique, et concentrent leurs exigences autour des objectifs SCOPE 1, SCOPE 2 et éventuellement SCOPE 3.

Certains prêteurs estiment que la communication d’un bilan carbone suffit, d’autres demandent des engagements chiffrés sur la réduction des émissions directes (SCOPE 1), et des émissions indirectes liées à la consommation d’électricité, de froid et de chaleur (SCOPE 2).

La majorité des ETI ne seront pas en mesure de présenter une évaluation SCOPE 1 avant 2022-2023. A défaut, il reste possible de présenter des objectifs de moyens tels que la mise en place de systèmes permettant de quantifier le bilan comme des compteurs individuels, etc. Par ailleurs, le bilan amont et aval de l’entreprise (SCOPE 3) est rarement fourni par les entreprises. Il n’est pas obligatoire à ce jour.

– Et en matière d’indicateurs sociaux ?

– Les centres d’intérêts et les demandes des banques en matière de critères sociaux sont assez variables. Ces demandes reflètent souvent la compréhension du modèle économique de l’emprunteur.

La tentation des banques est souvent de vouloir homogénéiser les demandes, sans tenir compte des différences sectorielles ou des valeurs et de l’ADN propres à l’entreprise concernée. Toute la difficulté d’une négociation d’un financement durable est de faire converger les prêteurs sur un panel de critères et sur une trajectoire d’amélioration en matière d’ESG pour obtenir un consensus favorable à l’emprunteur.

Cette négociation est révélatrice de la compréhension de chaque banque du business model de l’entreprise, de son ADN et de ses métiers. Le facteur humain compte beaucoup dans la mise en place d’un SLL !

 

– Quelle est la différence avec les Sustainable Linked Bonds (SLB) ?

– Les principes pour les loans (Sustainable Linked Loan Principles publiés par la LMA) et les Sustainable Linked Bonds fixés par l’International Capital Markets Association (ICMA) sont assez similaires. Cependant, ces derniers ne sont pas très favorables aux notations. Ils sont plus stricts. Les investisseurs institutionnels ont des obligations en termes de reporting qui se ressentent dans les exigences des SLBs. Il est nécessaire de produire des indicateurs pertinents, essentiels, matériels, mesurables, vérifiables par une entité externe et comparables à une référence ou des définitions externes (Respect des Accord de Paris en matière de réchauffement climatique par exemple). Les indicateurs doivent également faire référence à des normes réglementaires ou des objectifs fixés par les organismes internationaux (ex. Green bonds principles).

 

– Au final, qu’est-ce que ça rapporte de passer à la finance durable ?

– Tout d’abord, cela apporte plus de liquidité et d’appétit de la part des prêteurs en recherche active d’actifs ESG. Ensuite, l’objectif des financements à impact est d’indexer les conditions financières de l’entreprise sur l’atteinte d’objectifs ESG. Sur les financements bancaires, l’amélioration de la marge est aujourd’hui symbolique, de l’ordre, généralement, de 5 points. Sur l’obligataire, qui suit des objectifs plus ambitieux pour éviter le greenwashing des fonds crédit, le gain est de l’ordre de 15-20 points de base, voire 25.

Attention cependant au spread d’ouverture qui peut se retrouver rehaussé !

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