Mobilisées pour offrir aux entreprises un accès large aux financements spéciaux COVID-19, les banques ne sont pas entièrement à l’aise avec certaines modalités du dispositif et exercent leurs diligences comme sur des dossiers de crédit classiques. Les directions financières ne doivent pas attendre pour engager leur réflexion sur leur structure de financement optimale dans un contexte de reprise plus ou moins rapide.

Depuis les annonces de Bpifrance et la publication le 23 mars du projet de loi de finances rectificatives et de l’Arrêté encadrant le prêt garanti d’Etat (PGE), une course contre la montre s’est engagée pour fournir massivement des prêts à toutes les entreprises françaises qui en ont besoin. L’enveloppe des financements spéciaux COVID-19 doit être distribuée largement. A défaut, le risque existe que des entreprises bénéficiaires chutent en raison des difficultés éprouvées par leurs clients et leurs fournisseurs, qui n’auraient pas la chance d’être aidés à temps.

Nos premiers retours semblent indiquer que le montant maximal de 30 millions d’euros du prêt Atout de Bpifrance est très théorique (rares étant les corporates ayant reçu un prêt Atout de plus de 15 millions d’euros, voire 10 millions), mais la machine avance.

Les règles du PGE progressivement clarifiées

Parmi les quatre dispositifs de financements spéciaux, la garantie Prêt Garanti d’Etat (PGE) dispose d’une enveloppe confortable de 300 milliards d’euros, équivalente à un an de production de crédit bancaire en France. Plusieurs questions relatives à l’éligibilité des entreprises et au fonctionnement de ce dispositif ont été clarifiées ces derniers jours : critères d’éligibilité ; règles applicables au calcul du montant maximum du prêt (liasse fiscale, comment faire en cas de multiplicité de structures juridiques, non retraitement des intra-groupes, etc.) ; critères relatifs aux processus d’octroi de la garantie (process de masse vs. décision individuelle du Trésor) ; format du prêt (qui peut être aussi bien en crédit bilatéral qu’en crédit syndiqué).

Certains sujets restent en débat, notamment le traitement des entreprises en difficulté. Sont en principe exclues du dispositif PGE les entreprises en procédure de sauvegarde, en redressement judiciaire et en liquidation judiciaire. L’éligibilité des entreprises dont la note Banque de France (référentiel FIBEN) est inférieure à 5+ est incertaine.

Réticences des banques

Mobilisées sur le sujet, les banques expriment des réticences sur plusieurs points du dispositif :

  • La forme juridique de la garantie d’Etat. Assortie d’un délai de carence de deux mois, celle-ci n’est pas une garantie à première demande (GAPD) pouvant être appelée au premier défaut de l’emprunteur. Plus proche d’une caution dans sa forme, la garantie de l’Etat crée une incertitude face à un éventuel défaut des emprunteurs, à minima sur le délai de récupération des fonds. Les banques ne savent pas en conséquence quel LGD appliquer, ce qui impacte la mobilisation de fonds propres ;
  • La quotité non garantie, qui peut aller jusqu’à 30 %, alors qu’en Allemagne par exemple, il est évoqué une garantie à 100 % ;
  • Le taux d’intérêt « à prix coûtant » pour la première année, soit au coût du financement du prêteur, sans marge. Après un certain flou, un consensus entre banques se serait établi sur l’Euribor (donc floor zéro). Combinée à l’exposition résiduelle, cette absence de marge, et dans de nombreux cas, de frais de dossier, entraîne des RAROC négatifs, faisant à priori des clients générateurs de side-business et/ou de meilleur qualité de crédit les plus avantagés dans la décision d’octroi des prêts ; et dans un contexte où le marché de la liquidité Euro est en train de montrer des premiers signes de tension
  • L’option de prorogation jusqu’à six ans à la main de l’emprunteur créé une exposition supplémentaire que les banques ne souhaitent pas forcément. Cette option place les prêteurs en risque de refinancement et peut créer de la subordination temporelle par rapport à des importantes échéances sur d’autres financements ;
  • Le fait que certaines entreprises en difficulté (sous mandat ad hoc par exemple) soient éligibles.

L’argent ne tombe pas du ciel

En dépit de ces critiques, les banques sont volontaires et mobilisent leurs équipes commerciales pour traiter les demandes de prêts de leurs clients suivant un calendrier accéléré. Toutefois, elles exercent leurs diligences comme sur un dossier de crédit classique.

Face aux menaces d’engorgement des services des banques et de la plate forme Bpifrance / Trésor, les entreprises les plus efficaces seront les premières servies. En conséquence, les demandes doivent être motivées et documentées sur l’impact du ralentissement d’activité liée à la crise sanitaire. Chaque direction financière est donc tenue de soigner ses prévisions de trésorerie, avec des scénarios dégradés à horizon 3, 6 et 12 mois. Il faut également montrer comment stratégiquement, l’entreprise entend rebondir après le confinement et le cas échéant comment elle adapte ses produits et services.

Au final, il ressort que les financements COVID-19 ne sont pas de la « monnaie hélicoptère » et il convient de rappeler leur objectif premier : fournir une source de liquidité à bon compte aux entreprises pour passer les premiers mois de cette crise et accompagner le rebond. Le PGE est un financement qui, passé un an, retombe sur une grille de marge (que les banques ne veulent pas logiquement déterminer à l’avance), à laquelle s’ajoute le prix de la garantie, qui passe à 100 points de base par an pour les années 2 et 3 pour les ETI et Grandes Entreprises, et à 200 bps par an pour les années 4 à 6. Aussi, le PGE doit-il être vu comme un « bridge ». A la sortie du confinement, chaque entreprise devra retravailler sa dette pour retrouver une structure de financement optimale dans un contexte de reprise plus ou moins rapide. L’enjeu sera de dimensionner sa liquidité confirmée dans un environnement nécessairement différent.

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