A l’occasion d’une conférence de l’AFTE dédiée au cash management aux Etats-Unis, Sarah Gundle, associate chez Redbridge, a présenté les trois différences qui surprennent toujours les trésoriers européens menant leurs premières opérations outre-Atlantique. Compte-rendu.

Qu’est-ce qui surprend généralement en premier un trésorier européen qui débute des opérations aux Etats-Unis ?

Sarah Gundle – Il y a trois différences fondamentales entre le cash management aux Etats-Unis et en Europe. La première est certainement la facture bancaire, facilement accessible mais difficile à déchiffrer outre-Atlantique. La seconde est le concept d’ECR ou earning credit ratio, un système de pied de compte qu’il convient de bien maîtriser pour réduire sa facture de cash management. Enfin, la chaîne d’encaissement des chèques, un moyen de paiement toujours bien présent aux Etats-Unis, a ses spécificités, avec l’intervention de différents acteurs qu’en Europe.

En quoi les relevés de frais des banques américaines sont-ils si différents ?

– Aux États-Unis, les banques de cash management ont tendance à décomposer leurs relevés de frais bancaires en beaucoup plus de services qu’en Europe. S’il est courant de voir environ 50 lignes de services facturés en Europe, ce nombre atteint facilement 250 aux États-Unis. Aussi, s’il est généralement plus facile d’obtenir les relevés de frais des banques – il est même obligatoire pour une banque américaine d’envoyer un récapitulatif de tous les services facturés, il est difficile de se frayer un chemin parmi toutes ces informations.

L’Association for Financial Professional n’œuvre-t-elle pas depuis vingt ans à normaliser les relevés de frais bancaires ?

– Si, et elle continue à mener patiemment ce travail de normalisation. L’ensemble des codes de services bancaires sont ainsi révisés tous les cinq ans par l’association (pour en savoir plus sur la dernière mise à jour, veuillez lire notre article ici), mais l’utilisation des codes AFP n’est pas obligatoire.
Même si les grandes banques et les banques régionales ont tendance à structurer leurs relevés de frais selon cette norme, chacune à sa propre interprétation. L’une peut facturer un service sur une seule ligne, alors qu’une autre le répartira sur plusieurs postes. Il est nécessaire de cartographier régulièrement la manière dont chacune de ses banques facture ses services pour bien comprendre ce que l’on paie, car les noms des services peuvent également changer. En fonction du nombre de comptes, il peut falloir une semaine entière chaque mois à un analyste de trésorerie pour harmoniser les relevés avant de pouvoir les analyser !

Comment se comportent les banques européennes qui ont des filiales locales aux Etats-Unis ?

– Les banques européennes opérant aux États-Unis ont tendance à structurer leurs relevés de facturation bancaire de manière plus simple. Cela s’explique aussi parfois par le fait qu’elles n’ont pas la même capacité que leurs homologues purement américaines à répondre aux besoins parfois complexes des entreprises locales.

Pensez-vous que la complexité des relevés bancaires aux Etats-Unis est justifiée ?

– Non, nous sommes arrivés à un point où la complexité sème plus la confusion qu’elle n’apporte de transparence aux clients. Contester ses frais bancaires est chose quasi impossible dans ce maquis.

Pourquoi les chèques ont-ils encore un rôle important aux Etats-Unis ?

– Les américains sont très attachés aux chèques. Le pays compte de grandes sections rurales, sans accès à une connexion Internet de qualité, ni un accès facile aux banques. En revanche, le service postal américain, qui est tenu de distribuer et de ramasser le courrier à chaque adresse tous les jours, procure aux particuliers un moyen facile et pratique pour payer. Les personnes âgées notamment préfèrent largement les chèques aux paiements en ligne, qui nécessitent une formation à l’utilisation d’Internet.

Pouvez-vous expliquer brièvement la chaîne de traitement des chèques ?

– Le traitement des chèques par l’entreprise va dépendre du nombre de chèques à encaisser chaque mois. Une entreprise ne recevant qu’une centaine de chèques par mois pourra les traiter facilement, en les déposant à la banque directement ou avec un scanner. Pour les entreprises encaissant un grand volume de chèques, le moyen le plus simple est de passer par une lockbox. Une lockbox est en quelque sorte un service externalisé d’encaissement des chèques, proposé par les banques ou des prestataires spécialisés. La lockbox attribue à chaque entreprise une adresse spéciale – une boîte postale – avec un numéro de référence spécifique qui sera utilisé par les clients pour poster leurs chèques avec leurs coupons de règlement.

Le prestataire de lockbox emploie des personnes chargées d’ouvrir votre courrier, de scanner et d’encaisser les chèques. S’il y a des erreurs, ces équipes suivent un processus de décision conçu avec chaque client. À la fin de la journée, l’entreprise reçoit un lot avec tous les comptes qui ont collecté de l’argent, les erreurs éventuelles, les considérations spéciales… De cette façon, l’équipe de trésorerie ne passe pas trop de temps sur les chèques et peut avoir une équipe plus agile. Les lockboxes sont d’une grande utilité pour les compagnies d’assurance, les sociétés de services publics, toute entreprise qui va avoir de gros volumes récurrents de paiements et qui a également l’obligation d’accepter toute forme de paiement.

Toutes les lockboxes se ressemblent-elles ?

– Non, il y a des prestataires de premier plan et d’autres qui ne peuvent pas absorber tous les volumes et ont tendance à se spécialiser auprès des entreprises B2B. Certaines banques se sont également retirées du jeu, mais comme ce service est requis par leurs clients, elles le proposent en marque blanche en sous-traitant.

Pourquoi l’Earning Credit Ratio est un concept clé de la gestion de trésorerie aux Etats-Unis ?

– Après que la réglementation Q ait interdit aux banques de rémunérer les soldes à vue, afin de ne pas alimenter une concurrence spéculative, celles-ci ont instauré l’ECR, qui est une rémunération déguisée des dépôts, dans le sens où elle n’ouvre que droit à une ristourne sur les frais bancaires.

Existe-t-il une formule qui fixe le taux de l’ECR et ce taux varie-t-il avec les Fed Funds ?

– L’ECR est le fruit d’une négociation entre l’entreprise et sa banque, qui dépend du niveau des Fed Funds lors de la négociation. Généralement, les banques révisent l’ECR avec un peu de retard, notamment lorsque les taux montent.

Nous conseillons à nos clients d’instituer un plancher à l’ECR et de dire qu’il ne descendra jamais en dessous d’un certain point et de calculer le taux net chaque fois que cela est possible. Lorsque l’entreprise paie également des frais de d’assurance, son taux net peut être négatif, ce qui signifie qu’elle paie la banque. C’est pourquoi nous essayons toujours de poser des questions à ce sujet pour protéger nos clients.

Comment un trésorier peut-il optimiser ses relations avec ses banques de cash management ?

– Contrôler ses relevés de frais bancaires tombe sous le sens pour contrôler, comprendre et évaluer chaque relation bancaire, mais ce n’est pas toujours possible de le faire manuellement. Nous conseillons à nos clients de faire appel à un logiciel pour avoir cette visibilité ou bien de s’en tenir à la règle des 80/20 pour examiner la majeure partie des frais chaque mois, et de mener un examen trimestriel de tous les frais, car l’entreprise ne dispose généralement que de 90 jours pour signaler les erreurs à la banque.

Par ailleurs, les trésoriers doivent mener un entretien annuel avec chaque banque de cash management. La discussion doit englober la relation dans son ensemble, pas seulement la gestion de la trésorerie, mais aussi la dette. Les banques viennent généralement bien préparées à cet échange, avec toutes sortes de recommandations. Le trésorier doit lui aussi bien se préparer, en ayant mené un examen détaillé des contrats et des relevés, et dressé une liste de questions pour s’assurer que la banque partage bien la même vision de l’avenir de l’entreprise.

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