La pression grandissante tant sur les banques que les investisseurs institutionnels pour que la planète finance bâtisse sa responsabilité sociale et environnementale se ressent dans les discussions avec les emprunteurs / émetteurs sur les KPIs des financements durables.

La part des obligations durables dans les émissions mondiales de dette a doublé au premier trimestre, passant de 5 % en moyenne en 2020 à 10 % désormais, confirmant l’intégration croissante des dimensions éthique et responsable dans la stratégie financière des entreprises.

L’autorité des marchés financiers (AMF) a approuvé cette semaine pour la première fois un prospectus obligataire permettant l’admission sur Euronext Paris de « Sustainable Linked Bonds ». Pour resituer, les Sustainable Linked Bonds (SLB) sont des titres de créance comportant une incitation financière pour son émetteur à s’engager dans une trajectoire plus « durable » de son modèle d’affaires. A la différence des obligations vertes ou sociales dont les fonds levés sont utilisés pour financer des actifs « verts » ou « sociaux », les SLB voient le coupon augmenter automatiquement à une date prédéterminée si l’émetteur n’a pas réussi à atteindre le ou les objectifs de durabilité qu’il s’est fixé à l’émission. Ces objectifs de durabilité chiffrés sont fixés au travers d’indicateurs clé de performance (Key Performance Indicators ou KPI) définis dans le prospectus.

Les émissions de SLB se sont développées au cours des derniers mois en Europe, essentiellement au travers de placements privés ne donnant pas lieu à la publication d’un prospectus. Elles devraient prendre plus d’importance et s’étendre aux opérations obligataires admises à la négociation sur les marchés réglementés, fait valoir le régulateur français.

A l’échelle mondiale, les émissions de SLB ont représenté entre 25 % et 30 % du total de l’enveloppe de 500 milliards de dollars d’obligations liées à des critères environnementaux, sociaux ou de gouvernance (ESG) émises en 2020, selon Eikon Refinitiv. Ces émissions ESG ont été complétées l’an dernier par des obligations vertes (40 %-45 %) et des obligations sociales (30 %).

En absolu, 150 milliards de dollars de SLB émis en 2020représente un montant important, mais concentré toutefois sur moins de 150 émetteurs. Le compartiment primaire des SLB a néanmoins accueilli plusieurs signatures européennes de renom en ce début d’année. Ainsi, au premier trimestre, la taille du marché des SLB a poursuivi sa progression : + 48 % par rapport au premier trimestre 20, selon Eikon Refinitiv.

Des instruments de dette flexibles pour relever les défis de l’humanité

Les douze derniers mois ont été marqués par une évolution internationale rapide des environnements politique et réglementaire, afin que la planète finance bâtisse sa responsabilité sociale et environnementale. Plus tolérante à l’égard de l’inflation, la nouvelle stratégie monétaire de la Fed américaine dévoilée en août 2020 entend désormais s’attaquer à la réduction des inégalités, en se fixant un mandat sur l’emploi plus inclusif. Au même moment, les 87 autres banques centrales réunies au symposium économique de Jackson Hole ont pour leur part réaffirmé leur priorité à la lutte contre le changement climatique.

A l’avenir, les politiques monétaires et la distribution de crédit seront de plus en plus liées aux enjeux de durabilité. Plusieurs banques ont anticipé cette évolution et entendent « verdir » leur bilan, en réservant des allocations bonifiées pour les financements durables. La tendance s’observe nettement en Europe continentale, notamment en Italie, en France, en Suède et en Belgique. Plus de 40 % des volumes de crédit syndiqués signés entre octobre 2020 et mars 2021 étaient des financements durable (20 % en nombre d’opérations). Les sustainable linked-loans (SLL), prêts à vocation générale intégrant le respect d’objectifs ESG adaptés à la situation de l’emprunteur, portent cette dynamique et dépassent largement aujourd’hui en termes de volume les green loans et les social loans.

Les banques françaises ont complété au premier trimestre le premier stress test climatique voulu par le régulateur français « pour assurer la bonne mise en œuvre de la politique monétaire ». Le réchauffement climatique est perçu comme une menace pour la stabilité financière. L’exercice sera généralisé à l’ensemble des banques européennes en 2022 sous l’égide de la BCE, mais aussi de la Banque d’Angleterre. L’Autorité bancaire européenne doit faire des propositions prochainement sur l’inclusion des risques liés au changement climatique.

La pression grandissante tant sur les banques que les investisseurs institutionnels se ressent déjà et de façon croissante dans les discussions avec les emprunteurs / émetteurs sur les KPIs pris en compte dans le cadre des Sustainable Linked Loans et Bonds.

Coté investisseurs en effet, le règlement « disclosure » du plan d’action pour la finance durable de la Commission européenne (novembre 2019) impose aux sociétés de gestion de présenter la manière dont ils prennent en compte les risques associés au changement climatique et à l’érosion de la biodiversité. Il prévoit également une communication sur la prise en compte des incidences négatives de leur politique d’investissement. Dans ce contexte, l’amélioration des reporting extra-financier des entreprises, en particulier la qualité des données disponibles, devient un élément clé pour la planète finance.

Dans le cadre de la revue des prospectus des Sustainable Linked Bonds, l’AMF prévoit d’accompagner les émetteurs. Ils pourront notamment prévoir, dans leur prospectus soumis au droit français, d’apporter des modifications méthodologiques au calcul des KPI en cours de vie des SLB. Il est possible de procéder à de telles modifications, que ce soit en consultant préalablement les porteurs lorsque cela est requis ou unilatéralement lorsque ces modifications, portant sur des points très précis et dans certaines limites, sont déterminées dans le prospectus et n’ont pas d’effet significatif défavorable sur l’intérêt des porteurs.

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