Lisez l’entretien intégral de L’Espresso du 29 mai 2024 avec notre invité Pascal Ichard, directeur des financements de la Mirakl. L’Espresso, l’émission de Redbridge programmée le temps d’une pause-café, accueillait ce mercredi 29 mai le directeur des financements de Mirakl, Pascal Ichard, à l’occasion de la signature du premier crédit syndiqué de cette entreprise fleuron de la French Tech. L’échange a porté sur le thème des relations bancaires avant, pendant et après un premier financement pour les entreprises de croissance. Aux cotés de notre animateur Emmanuel Léchère, était également présent Pierre Bonnet, associate director, conseil en financements chez Redbridge, qui a fait partie de l’équipe ayant accompagné la direction financière de Mirakl sur cette syndication, publique, de 100 millions d’euros.

Redbridge – Bonjour Pascal, bonjour Pierre, merci d’être avec nous aujourd’hui. Nous allons parler de financement des entreprises de la tech, des entreprises de croissance, des scale-ups et des Licornes. Dans tout cela, Mirakl, c’est quoi ?

Pascal Ichard, Mirakl – Mirakl est un éditeur de logiciels spécialiste des plateformes de e-commerce, fondé en 2011 par deux entrepreneurs, Philippe Corrot et Adrien Nussenbaum. Nous avons historiquement développé une solution de market places et plus récemment, nous nous sommes également développés dans les domaines de la gestion des flux de paiements et le retail media.

Vous avez quelques chiffres ?

Oui. Mirakl fait partie de l’écosystème French Tech, est membre du Next40 et a le statut de licorne depuis 2020 et notre levée de fonds en serie D. En quelques chiffres, Mirakl a enregistré en 2023 un volume d’affaires de 8,6 milliards de dollars de GMV (Gross Merchandise Value) échangée sur ses market places déployées. C’est un chiffre en hausse de plus de 50 % par rapport à 2022. Nous avons environ 160 millions d’euros de revenus récurrents moyens, indicateur clé des entreprises du secteur du software. En nombre de clients, Mirakl a 450 clients présents partout dans le monde et nous employons 750 collaborateurs.

Comment est organisée la fonction finance de Mirakl ?

La fonction finance de Mirakl est centralisée à Paris, avec quelques collaborateurs à Bordeaux et Boston. C’est une équipe d’une quarantaine de personnes aujourd’hui, si l’on intègre également les fonctions juridique et système d’information.

Et vous Pascal, quel est votre rôle plus particulièrement ?

 Mon rôle au sein de cette organisation est de piloter la trésorerie et les financements, ainsi que superviser les comptes, la fiscalité et la fonction achats.

Comment décririez-vous la stratégie de financement de Mirakl ?

 Historiquement, Mirakl s’est développé avec des besoins de financement assez limités. Notre modèle SAAS (Software as a service) est un modèle vertueux avec des revenus récurrents. Un monitoring scrupuleux des coûts et des investissements a contribué également à limiter notre cash burn.

Depuis sa création, Mirakl s’est plutôt financé par equity, à travers plusieurs levées de fonds, significatives, en 2019, 2020 et 2021. Notre dernière levée de 555 millions de dollars a valorisé l’entreprise à 3,5 milliards de dollars. Elle nous a apporté une trésorerie solide et significative pour investir dans l’innovation, mener notre expansion géographique et lancer nos nouveaux produits.

Que vient faire la signature d’un crédit syndiqué dans cette stratégie ?

La signature du crédit syndiqué est à relier à la maturité du groupe Mirakl. Nos levées de fonds ont permis de développer Mirakl. Désormais, l’idée est d’avoir un maximum de flexibilité et un pool de partenaires plus équilibré pour nos financements, afin d’être bien accompagné avec des investisseurs présents au capital quasiment depuis notre création d’un coté, et des prêteurs bancaires de l’autre.

Les facilités de crédit sont aujourd’hui devenues un élément prisé de la stratégie de financements des acteurs de la tech, sur fond de raréfaction des très grosses levées de fonds depuis 2022. Il y a encore de nombreux investisseurs qui soutiennent des entreprises et des projets en early stage, mais ils sont beaucoup plus regardants qu’en 2020 – 2021, années durant lesquelles il y a eu énormément de fonds levés en France.

Le crédit syndiqué vise donc à diversifier les sources financements, mais à quelle fin ?

Le crédit syndiqué de Mirakl, que nous avons signé l’année dernière, prolonge notre stratégie de financement. C’est une brique complémentaire pour pouvoir financer d’éventuelles acquisitions et soutenir notre croissance saine depuis dix ans.

L’idée est de se leverager et trouver des sources de financement moins dilutives et avec un meilleur équilibre entre equity et dette. En rééquilibrant nos sources de financement, nous savons que nous pouvons maintenant nous appuyer tant sur nos investisseurs historiques et sur la trésorerie disponible, que sur ce nouveau pool bancaire et cette facilité de crédit sur l’étagère, déjà négociée, s’il fallait se positionner sur une acquisition. C’est un gain de temps pour l’entreprise, si nous voyons une cible intéressante. Le crédit syndiqué est un élément stratégique.

Comment s’est déroulée la mise en place de ce crédit syndiqué inaugural ?

C’est une opération menée sur le premier semestre 2023. La décision a été prise en début d’année. Nous avons contacté Redbridge après notre clôture annuelle, et le closing a eu lieu avant l’été, donc un timing de quelques mois, en ligne avec les pratiques de place.

Quels étaient les critères de sélection des banques ?

 Nous avons sélectionné nos partenaires bancaires sur leur capacité à nous accompagner à des conditions intéressantes sur cette opération de financement, mais aussi en se projetant au-delà de cette opération de crédit syndiqué.

Notre idée était de comprendre comment les banques qui allaient intégrer le pool pourraient nous accompagner sur d’autres volets. Nous avons regardé l’implantation géographique de ces établissements bancaires et privilégié ceux qui pourraient nous accompagner dans notre expansion géographique.

Nous avons regardé également la qualité et les possibilités de placement offertes par ces établissements dans le cadre d’un environnement de taux élevé. Faire fructifier notre trésorerie est un élément important.

Enfin, j’évoquais que cette ligne de financement avait pour objectif de financer des acquisitions. Nous avons regardé la force du réseau. Nous attendons de nos partenaires bancaires qu’ils puissent nous proposer et nous mettre en contact avec des cibles. Nos banques doivent pouvoir faciliter le travail de nos équipes dédiées à la croissance externe.

Cela nous a mené à sélectionner des partenaires plus globaux, à qui nous pourrons donner du side business à court terme et qui seront présents lorsque nous aurons des opérations importantes à l’avenir.

Qui sont vos partenaires bancaires ?

 Notre pool de cinq banques se compose de deux partenaires historiques et trois qui ont rejoint le pool lors de l’opération : Natixis, HSBC, BNP, JP Morgan et Société Générale

Quel était le montant de l’enveloppe ?

 Nous avons syndiqué 100 millions d’euros avec une possibilité d’extension. C’est un crédit inaugural, donc l’idée était de structurer une première opération qui a vocation à vivre et permettre à Mirakl d’avoir d’autres facilités de crédit à l’avenir.

A quel moment s’impose l’idée d’avoir un conseil externe pour mener cette opération de financement inaugural ?

 Les start-ups et les scales-up ont cette particularité de grandir vite. Les équipes sont souvent très occupées, avec de nombreuses problématiques à gérer et sont souvent en cours de structuration. La direction financière de Mirakl est une équipe qui a considérablement grandi en quelques années et nous n’avions pas forcément toutes les expertises en interne, ni le temps disponible.

Faire appel à un conseil externe s’est imposé comme une évidence pour mener cette opération très structurante, où il y aurait beaucoup de choses à négocier. Il nous a semblé impératif d’être accompagnés par un conseil rompu à ce type d’opération et qui sache à la fois nous alerter sur les points clés, nous accompagner sur les phases de négociation, et être en capacité de nous fournir des benchmarks sur des clauses de marché comme sur les conditions en ayant la connaissance d’opérations similaires nouées par des entreprises du même profil que Mirakl.

Comment s’est déroulée votre collaboration avec l’équipe de Redbridge ?

Nous avons bénéficié de l’accompagnement des équipes de Redbridge dès le début, en amont, avant même de contacter les partenaires bancaires potentiels. L’objectif fixé aux équipes de Redbridge était de coordonner l’opération, nous assister au quotidien. Nous avions aussi une vraie volonté de nous former, donc il y avait un volet pédagogique à assurer pour nous faire monter en puissance sur ce sujet des financements.

Et qu’est ce que l’équipe de Redbridge a délivré ?

En respectant la confidentialité, Redbridge nous a aidés dans le cadre des négociations en nous indiquant ce qui était généralement acceptable, ce qui ne l’était pas et ce sur quoi nous pouvions un petit peu accentuer les négociations et les discussions. Plusieurs personnes chez nous connaissaient Redbridge, sur les sujets cash management et trésorerie, et la mise en relation avec l’équipe conseil en financements s’est faite assez naturellement.

Les équipes de Redbridge nous ont accompagné toutes les semaines, avec des points d’étape réguliers. Tout le rétroplanning a été vu et mis en place dès le début, permettant de cadencer l’opération, avec des milestones clairs. Nous avons eu du support à chaque phase importante, que ce soit sur les négociations comme sur les définitions des termes du crédit. Cela nous a permis de boucler l’opération avant l’été et tout le monde a pu partir en vacances l’esprit tranquille.

Comment met on en place une première documentation de financement bancaire, en conservant à l’esprit que cela deviendra un élément de référence pour ses documentations futures ? Comment approche-t-on les banques, lorsqu’on est une entreprise en forte croissance ?

De notre coté, en interne, avant de lancer l’opération, il y a eu un besoin de documenter notre trajectoire, préparer notre Info Memo, de parler du passé et de nos ambitions pour les quatre à cinq années à venir en termes de roadmap produit, mais également en termes de chiffres. Il a fallu expliquer où nous souhaitions projeter Mirakl dans quelques temps.

Sur la documentation en tant que tel, nous nous sommes appuyés sur les équipes Redbridge pour que le corpus négocié nous accompagne dans la durée et également le jour où il faudra renégocier. Il était important de « cranter » un canevas de base

Pierre, tu aurais quelques mots à ajouter sur ce sujet, surement…

 Pierre Bonnet, Redbridge – Dans toutes les opérations et particulièrement dans les opérations inaugurales, il y a le tryptique prix, taille et documentation, qui constituent les trois facettes qu’il faut réussir à négocier de manière simultanée et éviter de faire en sorte que l’accentuation de l’un de ces trois objectifs vienne dégrader un autre.

En matière de documentation, il faut avoir des objectifs très clairs dès le début, des choses intangibles sur lesquelles on sait que l’on ne veut pas céder et se donner les moyens de les atteindre à travers une bonne préparation de la consultation, à travers l’info mémo, et avoir une conviction très claire sur la qualité de crédit.

Combien de banques ont été consultées ?

 Pierre Bonnet – Nous avons consulté pas mal de banques, pour plusieurs raisons. D’abord parce que Mirakl est une très belle signature de crédit et par conséquent nous savions que beaucoup de prêteurs seraient intéressés par une opération comme celle-là. On sait que les banques sont en recherche des entreprises en forte croissance, des scales ups, des French Tech, de membres du Next 40. C’est un univers qui attire les banques mais qu’elles connaissent finalement encore assez mal.

Nous avons travaillé en commun avec Mirakl pour trouver le bon chemin pour faire adhérer les banques à l’opération.

Pascal Ichard – Beaucoup de banques étaient intéressées bien qu’elles soient plus habituées à travailler avec des entreprises très matures. Toutes n’avaient pas forcément la connaissance des modèles d’affaires et des trajectoires des scale ups. Contrairement aux fonds d’investissement qui sont très axés sur la croissance et la top line, les banques sont davantage focalisées sur les problématiques de rentabilité et elles sont plus adverses au risque.

Il y avait un véritable enjeu de pédagogie pour expliquer notre business model et ce qu’il y a derrière les chiffres. Nous avons insisté sur les nouveaux marchés qui s’ouvrent, les nouveaux produits et nous avons eu des discussions avec certaines banques qui avaient du mal à cerner les business models d’entreprises assez jeunes, souvent parce qu’elles n’avaient pas de practice dédiée à ce segment de clientèle. De la même façon que Redbridge a fait de la pédagogie auprès de nos équipes sur certains volets de la structuration de la facilité de crédit, nous aussi avons vu qu’il fallait faire de la pédagogie sur nos chiffres et notre trajectoire.

Comment faire pour rapprocher les vues entre les banques sur la signature de crédit Mirakl ?

 Pierre Bonnet – Pour rapprocher les vues, il est important de bâtir des convictions fortes : aider à la compréhension des business model, des concepts liés à l’activé et voir la manière dont tout cela peut se refléter dans la documentation.

Il faut bien comprendre que des entreprises comme Mirakl, dont le volume des ventes peut croître de plus de 50 % en un an, sont des animaux un peu spéciaux. Il faut éviter d’avoir une documentation de crédit qui corsette la société. Les banques doivent comprendre que les trajectoires peuvent aller très vite, peuvent aller très fort, et que les scales ups ont des besoins différents de ceux des sociétés classiques.

Pour parvenir à l’alignement, l’enjeu est donc de consulter un nombre suffisamment grand de banques pour trouver celles qui vont adhérer à la vision d’avenir de l’entreprise.

 

Quels points, quels indicateurs fondent la relation bancaire ? Sur quels éléments une start up peut miser pour fonder sa relation ?

Pascal Ichard – Avoir une typologie de revenus récurrents aide, forcément, il faut une route vers la profitabilité assez claire et pas trop éloignée, pour que les banques puissent accepter de prendre un bout de risque. Enfin, la qualité des fonds d’investissement qui soutiennent la société, la qualité du management et le montant des fonds levés qui vont servir de matelas, comptent énormément.

 

Après la mise en place de ce premier financement inaugural, quels sont les projets de la direction financement trésorerie de Mirakl ?

Déjà, il faut faire vivre ce pool. Nous sommes en pleine phase de construction d’une relation de long terme avec nos nouveaux prêteurs. Nous réallouons du side business sur certains zones géographiques, nous distribuons nos nouveaux business à tel ou tel acteur. Je mentionnais également le sujet des placements, qui nous rend ouvert à de nouveaux produits et de nouvelles offres faites par nos nouveaux partenaires.

On se penche également sur des sujets d’optimisation, comme le BFR, que nous n’avions peut-être pas pris le temps de traiter jusqu’ici. Cela peut constituer des sujets intéressants et apporter du side business à nos banques. Dans le même temps, nous poursuivons l’optimisation de la gestion de nos flux.

 

Quels sont vos projets structurants relatifs à l’organisation de la trésorerie et des paiements ?

Mirakl est assez centralisé, donc il arrivera un jour où nous aurons besoin d’un système de gestion de trésorerie pour fluidifier la gestion des flux externes, mais ce n’est pas pour le moment un sujet prioritaire. Les choses évolueront en fonction de l’actualité, qui s’imposera surement à nous lorsqu’une grosse acquisition aura lieu.

 

Mirakl a-t-il abordé le sujet des financements verts ?

 C’est un sujet en réflexion. Nous travaillons beaucoup sur les problématiques ESG en collaboration avec l’équipe RSE de Mirakl. Pour l’heure, cette réflexion s’est surtout traduite sur le volet placement. L’intégration des problématiques ESG et de notre trajectoire ESG dans notre politique financière est un chantier en cours.

 

Quel est l’impact de vos nouveaux business sur vos relations bancaires ?

Un des gros enjeux du crédit était de convaincre les banques sur le nouveau business de retail media, sur lequel nous investissons beaucoup et auquel nous croyons beaucoup. Nous avons également de plus en plus de flux en devises, qui a fait naitre une problématique de change, avec la signature de notre joint-venture au Japon, nos nouveaux business dans la zone APAC et au Brésil par exemple. Le développement de l’activité génère de nouvelles opportunités de side business à travailler.

 

Quelle a été la valeur ajoutée de Redbridge dans l’accompagnement sur le crédit syndiqué inaugural ?

Le respect du calendrier, être pédagogues avec les équipes et avec les banques, leur rôle d’alerte et leur capacité de mise en perspective. Sur l’aspect qualitatif, beaucoup de travail a été mené pour éviter qu’il y ait une documentation trop restrictive. Ne pas se faire imposer ceintures et bretelles pour pouvoir poursuivre notre croissance.

 

Propos recueillis par Emmanuel Léchère

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