Si les équipes digitales / marketing / ventes poussent l’entreprise à adopter des solutions de paiement innovantes et de multiples réseaux de cartes, la direction financière doit continuer à veiller à la rentabilité du projet et la sécurisation des transactions. Entretien avec nos experts Mélina Le Sauze et Anthony Schulhof.

– Quels sont les enjeux de la monétique non bancaire et des encaissements American Express (Amex) pour les commerçants ?

– Le coût du cash management pour les grandes enseignes se chiffre généralement en millions d’euros et 70 % de ces frais en moyenne sont inhérents à la monétique. Si historiquement, en France, les banques étaient des acteurs incontournables de la chaîne de traitement des cartes, leur hégémonie est depuis dix ans remise en cause par l’émergence des prestataires non-bancaires en charge de la maintenance des terminaux, de la fourniture de plates-formes d’acceptation, sans oublier les FinTechs et les PSP (Prestataires de Services de Paiement), qui ont également largement investi le monde de la monétique. La liste n’est pas exhaustive, mais des sociétés comme Adyen, Ingenico, Hipay, Stripe ou encore Worldline portent le dynamisme du marché de la monétique aujourd’hui.

Par ailleurs, American Express, un des leaders mondiaux des cartes privatives, intéresse les commerçants qui cherchent à capter de nouveaux clients ou fidéliser un segment de clientèle dont le pouvoir d’achat est généralement plus élevé que la moyenne. L’industrie des paiements en France a dernièrement développé des solutions facilitant l’acceptation des cartes Amex sur les terminaux, afin de répondre à une demande élargie des secteurs de la grande distribution et de la distribution spécialisée.

En France, les PSP et Amex représentent une part croissante du coût global total de la monétique des commerçants. En Allemagne, en Suisse ou encore au Royaume-Uni, ce sont des acteurs incontournables de la chaîne des encaissements par carte.

Le réflexe naturel consistant, en période de crise, à préserver la relation avec ses partenaires bancaires qui mobilisent leur bilan pour l’entreprise, ne s’applique ni aux PSP, ni à Amex. Challenger ces acteurs apparait donc comme une évidence pour dégager des économies.

– Quelle est la valeur ajoutée des acteurs non-bancaires ?

– Les nouveaux prestataires de paiement, Adyen et Stripe en tête, ont développé une offre qui ne répond pas uniquement aux besoins de la direction financière. Ces acteurs proposent des solutions agiles mêlant parcours client innovant, rapidité d’exécution et palette élargie des moyens de paiement acceptés. Par ailleurs, ils répondent à la demande des grandes enseignes qui souhaitent une solution de paiement unique à l’échelle internationale.

Les banques françaises s’occupent essentiellement de clients en France et s’internationalisent très peu. Même les banques présentes au niveau européen ne peuvent fournir une seule et unique solution car chaque branche locale a une capacité technique et un pouvoir de décision indépendant.

Aussi, dans un monde où les habitudes de paiement des consommateurs évoluent plus vite, les banques sont à la peine pour mener la digitalisation des paiements, préférant au besoin investir dans des jeunes pousses, à l’image du groupe BPCE qui a racheté PayPlug et Dalenys, entre 2016 et 2018.

Pour le choix de ces solutions de paiement innovantes, les équipes digital ou marketing sont généralement à la manœuvre, puis sont rejointes par la direction financière pour veiller à la rentabilité du projet et la sécurisation des transactions.

La direction financière n’est plus la seule décisionnaire dans le choix d’un prestataire monétique.

Pourtant, les acteurs non-bancaires présentent quelques points d’attention à ne pas négliger :

  • D’un point de vue financier, leurs prestations sont généralement de 30 % à 50 % plus chères que celles des banques,
  • Les solutions des acteurs non-bancaires sont bien souvent intégrées du système de caisse jusqu’au crédit en compte. Il est donc très compliqué de « faire marche arrière » et de changer de partenaire après la mise en place de telles solutions.

– Quelle est la valeur ajoutée d’Amex ?

L’acceptation de la carte Amex ne revêt pas le même caractère stratégique selon le secteur d’activité. Indispensable dans l’hôtellerie, le transport aérien et le luxe, elle procède plus d’une volonté de ne pas freiner les actes d’achats voire les augmenter ou d’attirer une nouvelle clientèle dans la grande distribution ou la distribution spécialisée.

La grille tarifaire d’American Express intègre de nombreuses subtilités (inbound fees, wholesale vs retail rate, etc.) pas toujours simples à appréhender pour le commerçant. Cette grille a pour élément central un taux de commissionnement, ayant la particularité de n’être jamais le même d’un pays à l’autre (American Express parle de marché), ni d’un secteur à l’autre. Ce principe d’un taux de commissionnement différent selon les secteurs économiques et les pays est justifié par le fait que le réseau apporte une valeur ajoutée différente selon le type et la localisation de commerçant.

Ce modèle permet notamment d’appliquer des taux élevés aux acteurs du luxe et de l’hôtellerie. A contrario, quand AMEX veut s’implanter dans un secteur où sa valeur ajoutée est moins évidente, il n’hésite pas à proposer des tarifs compétitifs, à l’image de la grille prévalant dans le secteur de la grande distribution. Selon le secteur d’activité considéré, le taux de commission d’American Express varie du simple au triple, voire plus.

– Comment optimiser les prestations non-bancaires de sa chaîne de traitement monétique ?

La concurrence entre les acteurs non-bancaires de la monétique progresse chaque année, avec l’apparition de nouveaux prestataires fournissant des services sur l’ensemble de la chaine. Pour optimiser sa relation, il est essentiel de bien recenser les services nécessaires pour ne pas avoir une offre surdimensionnée financièrement et de consulter un panel large d’acteurs. Souvent, les PSP commercialisent ont une offre complète, où tout service donne lieu à des frais à la transaction ou d’abonnement : processing, acquisition, outil de fraude… Cette grille est négociable pour qui fait valoir la concurrence.

– Et en ce qui concerne Amex ?

Sans véritable équivalent, American Express est un acteur relativement fermé à la négociation. Son refus est argumenté par la règle d’intégrité des prix (pricing integrity), selon laquelle le réseau garantit appliquer un taux de commission unique au sein d’un même secteur.

Cette règle « un secteur égal un prix » tient plus du discours commercial que de la réalité. L’expérience montre qu’au sein d’un même secteur, il existe des écarts de prix de l’ordre de 33 % à 50 % selon les commerçants.

Le fait est qu’American Express doit aujourd’hui gagner des parts de marchés auprès de nouveaux commerçants et en même temps acquérir un maximum de clients « personnes physiques » utilisant leurs cartes privatives pour légitimer son potentiel auprès des enseignes. Cette situation amène Amex à rééquilibrer sa relation auprès des retailers et permet d’ouvrir des négociations efficaces apportant des résultats significatifs quand cette négociation est étayée d’une analyse précise et formelle et est pilotée.

Bénéficier des conditions du client le plus favorisé n’est pas aisé et requiert :

  • De solides arguments,
  • Une bonne connaissance de l’organisation interne d’AMEX et de son processus de décision,
  • Une analyse précise et exhaustive de la situation (volumes confiés actuellement, évolution des volumes sur les dernières années versus les évolutions du CA total et du CA Monétique, typologie des clients finaux, typologie des biens achetés chez le commerçant par des porteurs de cartes AMEX, panier moyen, …),
  • Une forte expérience pour mener une négociation rapide et efficace.

En effet, il est très différent de mener une négociation au niveau local (pour un seul pays) ou au niveau mondial (pour plusieurs pays simultanément) car la politique tarifaire globale d’AMEX varie d’une zone à l’autre. En outre, certaines modalités de tarifications sont différentes d’une zone à l’autre (inbound fees, à titre d’exemple).

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