En Europe, plusieurs entreprises « pure players » développent une stratégie visant à intégrer le cash comme moyen de paiement pour les transactions en ligne. Revue de portefeuille de ces solutions par Gabriel Lucas, associate director chez Redbridge.

 

Malgré de multiples innovations en matière de paiement, la majorité des transactions en Europe continuent d’être réglées majoritairement en espèces, essentiellement pour des achats de faibles montants. Sur la base d’une enquête réalisée auprès des ménages en 2016, l’Eurosystème avait publié fin 2017 un rapport sur les habitudes de paiement des particuliers dans la zone euro. Les résultats de cette étude, intitulée « Study on the Use of Cash by Households in the euro area » (SUCH), montrait que les espèces étaient l’instrument de paiement le plus utilisé dans la zone euro : 79% des achats réalisés en magasin et 54% des paiements. Pour leur part, les cartes bancaires étaient utilisées dans 19 % des transactions, représentant 39 % de la valeur totale des paiements.

Les Allemands comptaient parmi les plus attachés à l’utilisation du cash en Europe, avec environ 70 % de leurs transactions réglées en liquide. À l’opposé se trouvent les pays nordiques, qui voient depuis plusieurs années émerger une tendance vers une société « cashless ». La France est dans une position intermédiaire, avec environ 68 % des transactions effectuées en espèces et a connu une baisse de 5 % dans l’utilisation de billets au cours des cinq dernières années.

Utilisation du cash

Parmi les raisons qui justifient l’utilisation des billets, nous retrouvons notamment l’instantanéité de la transaction, l’absence d’intermédiaires, la notion d’anonymat, la thésaurisation et la possibilité d’accéder aux moyens de paiement pour les plus vulnérables d’entre nous.

En termes de panier moyen, l’utilisation du cash est de plus en plus cantonnées aux paiements de très petits montants, après l’arrivée du paiement par carte sans contact et des eWallet (Apple Pay, Google Pay, etc.), qui permettent de régler très facilement des paiements à faible montant.

Réglementation

Avec une bonne partie des paiements toujours effectuée en espèces, et malgré le risque lié au cash, les arguments pour conserver ce moyen de paiement sont nombreux.

À titre d’exemple, la Suède vient d’adopter une loi, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2021, visant à conserver le cash. Les banques, avec un volume de dépôts supérieur à 70 milliards de couronnes suédoises, seront obligées de proposer des services de retrait de cash aux consommateurs, et de retrait et de dépôt aux entreprises. Des pénalités sont prévues en cas de non-respect.

De son côté, le Royaume-Uni prévoit aussi une loi (pas de date précise) pour réguler la disponibilité de cash. Cette tendance ne s’observe pas qu’en Europe. Aux États-Unis, New York vient d’interdire aux commerçants de refuser le paiement en espèces.

La France se montre particulièrement exigeante par rapport à l’acceptation du cash. Elle oblige les commerçants à accepter le paiement en espèces, qui est le seul moyen de paiement obligatoire. Le Défenseur des droits insiste sur le fait que « refuser le paiement en espèces représente une discrimination qui a pour effet de priver de nombreuses personnes de l’accès aux produits de première nécessité : les majeurs protégés (régimes de tutelle, de curatelle, ou de sauvegarde de justice), les personnes en situation de vulnérabilité économique, comme certaines personnes âgées, les personnes percevant les minima sociaux, les personnes sans abri, ou encore les mineurs non accompagnés et les demandeurs d’asile ne disposant pas de cartes de paiement ».

Le cash dans les transactions online

Selon l’IFOP, 96 % des Français ont fait au moins un achat sur Internet. Et même si la carte reste le moyen de paiement privilégié, plus de la moitié des Français confirment être intéressés par la possibilité de régler en cash leurs achats en ligne si cette possibilité leur était proposée.

L’Espagne et l’Italie se montrent aussi très favorables à cette pratique. En effet, 78 % des Espagnols et 74 % des Italiens interrogés déclarent souhaiter avoir recours au paiement en espèces lors d’un achat sur Internet si l’option était proposée. Autre signe de conviction à l’égard du paiement en proximité en Espagne et en Italie : respectivement 60 % des Italiens et 54 % des Espagnols interrogés seraient prêts à payer leurs factures courantes en espèces dans un commerce à proximité de leur domicile ou de leur lieu de travail, contre 42 % en Angleterre et 36 % en France.

Parmi les principales raisons d’utiliser le cash pour des transactions déclenchées en ligne, citons le risque de fraude (50 %) et le refus du paiement par carte bancaire (24 %, dont 70 % confirment abandonner un achat online à la suite du refus de paiement). De plus, le contexte actuel de la crise de la Covid-19 a fait augmenter considérablement les chiffres du e-commerce pour les biens de première nécessité. Concrètement, l’achat de ce type de biens aurait augmenté de 48 % depuis le début de la crise, et cela reste assez stable, même après le déconfinement (Source : Signifyd).

Bien que cette pratique soit encore relativement peu connue sur le continent européen, le paiement « phygital » est une pratique très courante dans d’autres régions, notamment en Afrique et en Amérique latine. Dans ces régions, les faibles taux de bancarisation, l’attachement historique au cash et les nombreuses transactions effectuées depuis l’étranger (paiement de factures et transfert d’argent notamment) font de cette méthode de paiement un must-have pour les transactions online.

Cas d’usage

En Europe, plusieurs entreprises « pure players » ont déjà développé une stratégie visant à intégrer le cash comme moyen de paiement pour les transactions initiées online.

C’est le cas notamment d’Amazon, un des premiers à prendre en compte ce besoin exprimé par ses clients. En 2017, Amazon a lancé en Europe « Amazon Cash », appelé « Amazon Recharge » en France. Ce service permet aux utilisateurs d’Amazon de créditer leur compte en espèces dans un point de vente de proximité. Il suffit de se rendre dans un des points de vente partenaires et soit faire scanner un code-barres par le commerçant, soit demander un code recharge qui sera imprimé sur un reçu et qui pourra être ajouté manuellement au compte Amazon. Une fois le paiement validé, le compte Amazon est crédité en temps réel et sans frais. Le montant à créditer est limité à une somme comprise entre 5 et 500 € par recharge.

Uber vient également de se lancer sur cette démarche en proposant deux façons de payer en espèces. La première est tout simplement de proposer aux consommateurs la possibilité de payer la course en espèces, comme pour les taxis classiques. Pour cela, il faut sélectionner ce mode de paiement avant de commander la course, car ce service n’est proposé que dans certaines villes et que par certains chauffeurs. La deuxième possibilité est de payer via le service Uber Cash. Ce service permet aux utilisateurs d’ajouter des fonds sur leur compte Uber avant la course. Parmi les principaux avantages de ce dernier, Uber met en avant notamment le fait de planifier ses dépenses et d’être sûr de pouvoir payer à tout moment dans l’écosystème Uber, sans avoir à se soucier des problèmes de carte expirée, de dépassement du découvert autorisé, de fonds insuffisants, etc.

Parmi ceux qui ont voulu intégrer la proximité dans le monde du numérique, nous retrouvons aussi des néobanques. Par exemple, N26 a lancé ses services uniquement en ligne et propose maintenant à ses clients de recharger leur compte courant en espèces dans des points de proximité.

Un cas d’usage permettant à la plupart des marchands d’optimiser le parcours de vente en ligne, et donc de générer du revenu additionnel, consiste à proposer le paiement de proximité à la suite d’un échec de paiement par carte bancaire. D’après l’IFOP et de nombreuses études menées par différents PSPs et autres experts en la matière, plus d’un client sur deux qui rencontre un échec de paiement lors d’un achat online ne renouvelle pas l’opération et choisit un concurrent. Grâce au paiement de proximité comme solution alternative en cas d’échec, les marchands peuvent donner une autre chance aux clients de pouvoir régler le paiement dans un magasin en espèces ou même par carte bancaire. De plus, ce paiement est garanti pour le marchand, car il est non répudiable.

Les services facturiers ont aussi un fort intérêt à intégrer le cash dans leur stratégie, quel que soit le type d’activité : fournisseurs d’énergie, sociétés de logement, administration publique, télécommunications, etc. Via un code-barres ou un QR Code présent sur la facture, les clients peuvent se rendre directement en point de vente et régler en espèces ou par tout autre moyen de paiement accepté par le commerçant (carte bancaire, etc.). De cette façon, les facturiers peuvent décharger considérablement la charge de travail de leurs services client tout en améliorant l’expérience client, compte tenu notamment du nombre de points de vente disponibles et de leurs horaires d’ouverture.

Enfin, un autre avantage important du paiement de proximité est le recouvrement. Afin d’augmenter les chances de pouvoir obtenir le paiement d’un client, le fait de proposer le paiement de proximité permet aux clients de payer même s’ils n’ont pas d’argent sur leur compte ou s’ils ne souhaitent pas utiliser leurs cartes bancaires sur Internet. Cela peut aider non seulement à optimiser le recouvrement, mais aussi à réduire le nombre de paiements réalisés par téléphone, par envoi de chèque, etc.


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