L’Association française des trésoriers d’entreprise (AFTE) a condamné à nouveau l’attitude des banques, à la manœuvre depuis deux ans pour appliquer un plancher sur les taux de référence des emprunts octroyés aux entreprises. Depuis mars 2016, l’ensemble des échéances du marché interbancaire – de l’EONIA à l’EURIBOR 12 mois – traitent en dessous de 0 %, sans que les entreprises ne bénéficient de cette situation de taux courts négatifs.

À mesure que la politique de la Banque centrale européenne poussait les taux vers le bas, les banques ont commencé à fixer un plancher (floor) à 0 % en-deçà duquel le taux de référence pris en compte pour le calcul des intérêts des emprunts ne peut descendre. Ce plancher, les banques l’imposent contractuellement à l’occasion de la renégociation d’une ligne bilatérale ou syndiquée, par le biais d’une clause de la documentation de financement. Il arrive également qu’elles l’appliquent sans base contractuelle, sur les crédits en cours. Dès lors, il est indispensable que les entreprises vérifient bien le calcul des intérêts financiers liés à leurs emprunts et demandent la rétrocession du trop perçu à leurs prêteurs, les cas échéants.

Jugeant légitime de s’opposer au flooring de l’EURIBOR dans les contrats de crédits, l’AFTE invite chacun de ses membres à ne pas céder à la pression des banques. Mais avec quelles armes ? Les plus grands groupes français ont obtenu qu’il n’y ait pas de plancher sur le taux de référence de leurs emprunts contre l’engagement implicite que la ligne renouvelable ne sera pas tirée. Tous les emprunteurs ne peuvent apporter cette garantie implicite, liée la plupart du temps à l’existence un programme obligataire bien rôdé affranchissant l’entreprise des concours bancaires pour ses financements.

De nombreux banquiers brandissent le Code Civil pour refuser l’éventualité que l’emprunt soit rémunéré à un taux négatif. Dans son Titre X traitant du prêt, le petit livre rouge stipule que « l’emprunteur est tenu de rendre les choses prêtées, en même quantité et qualité, et au terme convenu » (art. 1902). Or, en période de taux négatifs, si le prêteur doit payer des intérêts à l’emprunteur, ce dernier aurait à rembourser au final une somme inférieure à celle prêtée.

Sans contrevenir au Code Civil, les emprunteurs peuvent légitimement exiger, et obtenir, que le floor à 0 % ne s’applique pas sur l’EURIBOR, mais sur l’ensemble plus large EURIBOR + marge de crédit. Certaines entreprises ont déjà transigé en négociant un partage sur l’évolution des taux négatifs ou bien en fixant un autre plancher, positif, acceptable et logique pour l’ensemble des parties.

Une autre parade au flooring de l’EURIBOR consiste à s’appuyer sur une facilité de crédit multidevises pour tirer dans une autre devise avant de swapper le financement. Cette opération est par exemple valable pour les emprunteurs hélvètes, où le flooring du taux de référence à des conséquences plus importantes qu’en zone euro. Le LIBOR CHF 3 mois évolue  à -0,74 %, à comparer avec -0,31% pour l’EURIBOR 3 mois, ce qui ouvre des marges supérieures pour absorber la prime devises orientée récemment à la hausse dans l’éventualité d’un financement en dollars (LIBOR USD 3 mois = 0,95%). Le fait que nombre de banques de la zone euro indiquent que leur coût de financement en dollars ou en sterling est remonté en termes relatifs par rapport à l’euro constitue un autre frein au recours à la facilité multidevises pour contourner le flooring de l’EURIBOR.

La perspective d’une remontée prochaine des taux d’intérêts est de nature à infléchir la position des banques sur cette question du flooring de l’Euribor. A ce jour, les leaders du marché conservent une attitude rigoriste, évoquant « un point du ressort de la présidence du groupe » pour couper court à toute discussion commerciale. Les banques étrangères, en quête de part de marché, sont plus souples, les anglo-saxonnes ayant d’ailleurs tendance à considérer que ce n’est pas un sujet.

La manière dont est structuré le marché des financements bancaires accrédite depuis des années l’hypothèse que l’EURIBOR reflète le coût de la ressource pour les prêteurs. Ce n’est probablement pas le cas, sauf à considérer que l’introduction d’un plancher à zéro sur les taux de référence n’est pour les banques qu’un moyen de ménager des marges très supérieures aux taux de marché. A notre sens, ce récent combat illustre plus le besoin de réinventer le fonctionnement des crédits syndiqués, et lui adjoindre des bases où le taux payé par l’emprunteur reflète véritablement le coût de la ressource des participants au pool.

Invitation – Petit Déjeuner (Paris)

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