Enquête – Au vu des contraintes supportées par le virement instantané dans la sphère du commerce de proximité, les prestataires de services de paiement privilégient dans un premier temps le développement de solutions exclusives pour l’e-commerce.

Nombreux déjà à proposer une fonctionnalité de paiement reposant sur le virement SEPA (SCT) ou sur le prélèvement SEPA (SDD), les prestataires de services de paiement (PSP) européens évaluent les opportunités du virement instantané et réfléchissent aux solutions techniques qui viendront concrétiser ce service. Cette volonté s’observe avec le nombre de participants ayant adhéré au scheme SCT Inst. En mai 2019, plus de 2 062 prestataires avaient rejoint le schéma du paiement instantané en Europe, ce qui représentait, selon la Banque centrale européenne (BCE), plus de la moitié des PSP européens !

L’avènement du paiement instantané marque un saut qualitatif pour chaque catégorie d’utilisateurs, avec un traitement de la transaction en temps réel. Des cas d’utilisations à forte valeur ajoutée sont déjà identifiés sur les quatre segments du marché des paiements : Business to Business (B2B), Business to Person (B2P), Person to Business (P2B) et Person to Person (P2P). L’opinion, largement répandue, que les paiements instantanés concernent essentiellement des paiements de personne à personne est trompeuse. « Au Royaume-Uni, 98 % des paiements instantanés impliquent en réalité une activité professionnelle », explique Julieth Posada Parra, consultant senior chez ACI Worldwide.

À l’invitation de Redbridge, huit prestataires de services de paiement ont partagé leurs réflexions et fait le point sur leur offre de services relative au virement SEPA instantané. Tous estiment que le paiement instantané sera à court terme un élément complémentaire aux méthodes de paiement en vigueur. Ainsi, Romain Munoz, responsable marketing chez Score & Secure Payment (SSP), précise que la solution développée par sa société « s’adresse aux marchands, e-commerçants et entreprises qui souhaitent compléter leur offre de services de paiement ». « Nous avons fait le choix d’adopter un positionnement complémentaire à la carte bancaire en identifiant des cas d’usage précis à forte valeur ajoutée », ajoute-t-il. À titre d’illustration, SSP indique notamment permettre un paiement en plusieurs fois, qui mixe initiation de paiement, virement instantané et prélèvement. Ce prestataire a pour projet de lancer une application de paiement tous supports pour les particuliers… mais dans un second temps.

Les différentes solutions des PSP en cours de développement s’appuient sur le service d’initiation de paiement (Payment Initiation Service – PIS), introduit par la deuxième directive sur les services de paiement (DSP2). Ce service ouvre la possibilité de lancer un virement bancaire pour le compte d’autrui, à condition d’obtenir son accord préalable. Il nécessite l’obtention de l’agrément d’initiateur de paiement. Cet agrément peut être long à obtenir. Certains acteurs n’ont pas encore bouclé la procédure, tandis que d’autres sont en ordre de marche. C’est le cas de Worldline, qui indique avoir reçu un agrément en Belgique depuis le 1er juillet 2018, ou de Budget Insight en France, agréée depuis le 24 février 2018. Ces agréments sont « passeportables » et permettent à leurs détenteurs de commercialiser leurs services à l’échelle de l’Union.

Les usages en e-commerce ciblés largement par les PSP

Étant donné les contraintes des commerçants en magasin, les PSP privilégient dans un premier temps les paiements en ligne et les solutions dédiées à la sphère du e-commerce. Mais les acteurs comme Worldline soulignent que « la solution pourra aussi être déployée dans un contexte de proximité via l’utilisation d’un wallet marchand par exemple ». Cette démarche s’inscrit dans le contexte actuel d’apporter au client final un parcours omnicanal aussi fluide que possible.

Ainsi, les parcours clients en e-commerce sont déjà « standardisés ». Les clients se verront proposer un nouveau moyen de paiement sur la page de paiement habituelle du commerçant. Lorsqu’ils valideront leurs paniers d’achat et sélectionneront le SCT Inst, la liste des banques disponibles leur sera proposée. Une fois le choix effectué, ils seront redirigés vers le site de la banque en ligne choisie pour s’identifier, valider la transaction et surtout s’authentifier. Les banques confirmeront ensuite à leurs clients et aux commerçants la finalisation du paiement.

En magasin, adapter le parcours client à l’initiation de paiement représente un défi. Notre enquête auprès des PSP révèle une grande diversité de solutions actuellement en développement, même si certains anticipent « à terme une convergence et une consolidation du marché autour de 3 ou 4 grands acteurs paneuropéens », selon Romain Munoz. Parmi les solutions qui se dessinent, Worldine cite le wallet marchand, avec lequel les clients pourront décider de payer via un virement instantané. L’achat pourra se faire directement à partir de l’application mobile, ou bien, par exemple, au terminal de paiement avec scan d’un QR Code.

Ingenico envisage également deux parcours possibles dans un contexte de paiementde proximité. « Soit le client s’est préalablement inscrit au système de fidélité du commerçant et a fourni son IBAN/identifiant bancaire. À la présentation de sa carte de fidélité, le marchand, via un PISP, va se connecter à l’API bancaire de la banque du client. Celle-ci va ensuite déclencher une authentification forte sur l’application mobile bancaire du client », indique Régis Massicard, directeur des paiements européens chez Ingenico. « Soit le client dispose d’une application bancaire mobile compatible avec le virement SEPA instantané. Le marchand affichera alors sur son terminal de paiement ou sur sa caisse un QR Code. Le client pourra scanner ce QR Code via son appli mobile bancaire, et ainsi lancer un SCT Inst à l’intention du commerçant après authentification », complète-t-il.

« Nous estimons que certains parcours d’authentification via les APIs bancairesremettent en cause la fluidité de l’expérience client. Nous espérons que les premiers retours d’expérience et la menace des GAFAs encourageront les établissements bancaires à se montrer plus souples sur les parcours d’utilisation du virement instantané » explique Romain Munoz.

Un calendrier (trop) prudent

Lorsqu’on évoque le calendrier de lancement de ces solutions, les réponses des prestataires sont empreintes de prudence. Le principal frein invoqué est l’impréparation des banques et des prestataires teneurs de comptes en matière d’open banking et de virement instantané. Difficile d’envisager une solution reposant sur l’initiation de paiement dans un environnement où seules quelques banques mettent ce moyen de paiement à disposition de leurs clients et, de surcroît, ne facilitent pas l’accès à leurs comptes avec une API permettant à un tiers de lancer des paiements !

Les premières solutions des prestataires devraient toutefois arriver dans la sphère e-commerce à l’automne 2019. Il faudra attendre début 2020 pour des solutions opérationnelles pour le commerce de proximité.

Plusieurs prestataires entendent capitaliser leur expérience acquise à l’étranger pour proposer une solution adaptée à chaque besoin. Par exemple, ACI indique que « 60 % du volume actuel passant par Faster Payments au Royaume Uni se fait avec la technologie ACI ». La solution lancée en 2008 serait également utilisée par des clients dans les programmes FAST Singapore depuis 2014, NPP Australia depuis 2018, RTP et Zelle U.S. depuis 2017 et PayNet Malaysia depuis 2018.

Des freins importants

La volumétrie toujours confidentielle en France du nouveau moyen de paiement européen est symptomatique des nombreux freins à son développement. Bankin’ souligne au sujet du parcours client « que la complexité du virement instantané est liée à l’enregistrement du RIB, un identifiant complexe à récupérer et à intégrer. Il existe souvent un délai d’enregistrement de ce RIB, de 48 heures, sur les portails bancaires, qui empêche de faire un paiement immédiat ». Par ailleurs, le choix des établissements bancaires français de s’orienter vers un modèle d’authentification forteavec « redirection » en dehors de l’environnement du PSP présente également des limites en termes d’expérience client. Il est compliqué de s’imaginer que le client soit prêt à saisir son identifiant et son mot de passe à chaque transaction en magasin.

Un autre frein relève du domaine technique. Pour Budget Insight, « l’obligation de passer par les API des banques pour lancer des virements complique la tâche des prestataires de services de paiement ». Ingenico relaie également cette préoccupation. « Les APIs bancaires et le rôle de PSP, qui sont des compléments “naturels” au SCT Inst, ne sont pas encore en place. Il y aura sans doute des surprises. L’ensemble de l’écosystème n’est pas encore prêt », fait valoir le groupe.

Concernant le modèle économique, pour le moment, les premières banques ayant annoncé des tarifications font payer le SCT Inst au payeur, à un tarif relativement élevé. Cela montre un manque de volonté des banques de transformer le SCT Inst en un véritable moyen de paiement et risque de cantonner son utilisation à des cas particuliers (montant élevé, tiers inconnus, etc.). En effet, le fait que ce soit payant semble constituer un obstacle plus grand que les bénéfices à retirer de l’instantanéité du paiement, du point de vue de l’utilisateur final.

Il y a toutefois de l’espoir, avec la réussite de certains acteurs dans plusieurs pays de la zone euro, à l’image de l’initiative iDEAL aux Pays-Bas. Pour que les banques et PSP s’organisent à l’échelle européenne et fassent de l’Instant Payment un succès, il faudra peut-être compter sur un accompagnement plus important de l’EPC, de la Commission européenne et du régulateur. Ce scénario ne saurait être exclu.

Emmanuel Léchère


Le virement instantané a la capacité de transformer rapidement les usages de paiement des entreprises.

Dans l’objectif de livrer une information complète sur l’avènement du SCT Inst en Europe, Redbridge a interrogé les banques, les prestataires de services de paiement et les entreprises.

Notre nouvelle publication présente l’offre de services de virement instantané à travers les points de vue de dix groupes bancaires et huit prestataires de services de paiement. Elle révèle aussi les attentes substantielles des responsables financiers d’entreprises ayant participé à notre enquête sur la place du virement instantané dans le paysage européen des paiements.

Au sommaire de cette nouvelle publication

  • Quelle place pour le virement instantané SEPA dans l’entreprise ?
  • Les banques préparent l’élargissement des cas d’usage du SCT Inst
  • Parcours client et parcours du combattant pour les PSP !

Ainsi que le point de vue des responsables de :

  • METRO FRANCE
  • ACOSS
  • STET
  • MERCATEL

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