Lucie Kunesova, Associate Director – Conseil en cash management chez Redbridge, nous livre ses secrets pour la renégociation des frais et services bancaires, en s’appuyant sur des exemples concrets de missions réussies auprès de trésoreries de groupes des secteurs de l’assurance, des travaux publics et de l’immobilier. Ses mots clés ? Transparence, benchmark et approche holistique.
Un enjeu souvent sous-estimé.
Pourquoi les frais de cash management sont-ils rarement regardés de près par les entreprises ?
– Lucie Kunesova : Les frais liés aux services de cash management sont souvent considérés par la direction financière comme un sujet secondaire parmi les enjeux stratégiques de la relation banque-entreprise. Et pour les trésoriers, à qui il revient de suivre et négocier ces frais, la tâche est ardue. La facturation des services de cash management est rarement limpide : les relevés de frais sont difficiles à comprendre. Ils recèlent de nomenclatures opaques, ce qui complique le suivi et l’analyse précise de la prestation de services et de son coût. Beaucoup de trésoriers admettent manquer de repères et d’outils pour évaluer ces frais dans le détail. Faute de bases de données de prix externes fiables et exhaustives, le sujet des frais de cash management se limite souvent à des discussions très générales. In fine l’entreprise accepte par défaut des niveaux de frais bien supérieurs à ce qu’ils devraient être.
Il y a aussi, en toile de fond des discussions sur les services de cash management, la crainte de détériorer sa relation bancaire en pinçant trop agressivement les coûts. Pourtant, avec la bonne méthode, il est permis d’obtenir des conditions beaucoup plus avantageuses tout en préservant, voire améliorant, l’équilibre de la relation bancaire.
Quelles sont les étapes clés d’une renégociation réussie de ses frais bancaires ?
– Concrètement, la première étape consiste à collecter et centraliser les relevés de frais bancaires en vue de faire parler les données. Nous commençons par une analyse fine des factures bancaires, pour identifier clairement quels services sont facturés et dans quels volumes. Cette radiographie permet de détecter les frais indus, de supprimer ceux qui sont superflus et de se recentrer sur les services réellement utiles à la trésorerie. C’est un travail d’investigation, fastidieux mais indispensable pour objectiver la situation.
Une fois en main cette vue précise des tarifs pratiqués par vos partenaires bancaires, il devient possible d’évaluer la compétitivé-prix de chaque prestation de services. Chez Redbridge, nous disposons pour cela d’une base de données mondiale unique, enrichie depuis plus de 25 ans au fil de nos missions auprès des groupes européens et américains. À l’aide de nos outils technologiques propriétaires, nous comparons (benchmark) chaque ligne tarifaire afin d’estimer le potentiel d’économies réalisable.
Enfin, armés de ces analyses, nous entamons une négociation structurée avec les banques – généralement via un appel d’offres ou des discussions compétitives – en veillant à garder un dialogue équilibré et constructif. C’est cette trilogie « objectiver, comparer, négocier » qui fait toute la différence. Au bout du compte, nous transformons une situation jusque-là subie (des frais qu’on pensait incompressibles) en une opportunité d’optimisation significative et durable.
Frais de change, excédents de cash et vision globale.
Au-delà des frais de cash management à proprement parler, quelles autres pistes d’optimisation les trésoriers devraient-ils explorer pour maximiser les gains ?
– Il ne faut pas se cantonner à la simple grille de frais de cash management. Il existe d’autres gisements d’économies à portée de main, à commencer par les frais de change. Le foreign exchange (FX) – ou plus exactement les marges prises par les banques sur les opérations de change – représentent un coût non négligeable pour les groupes qui travaillent beaucoup avec l’international. Nous constatons fréquemment des écarts significatifs de marge d’une banque à l’autre. En analysant finement les différentes composantes ces marges et en les comparant à des benchmarks de prix de marché, un potentiel d’optimisation important se révèle fréquemment. Une renégociation structurée des conditions de FX peut ainsi aboutir à des tarifs de change beaucoup plus compétitifs, sans pour autant changer de plateforme ou perturber les opérations quotidiennes. C’est une façon « d’optimiser sans douleur » un poste de dépense souvent peu visible dans les comptes.
Autre piste d’optimisation : la rémunération des soldes excédentaires. Ce sujet est redevenu central avec la normalisation des taux d’intérêt. Pendant des années de taux négatifs, beaucoup de trésoreries laissaient dormir des liquidités sur des comptes courants sans rémunération, car l’enjeu semblait mineur. Certains payaient même pour maintenir des soldes excédentaires ! Aujourd’hui, avec des taux positifs, ne pas faire travailler ce cash excédentaire représente un coût d’opportunité réel. Il y a donc un vrai intérêt à se pencher sur la valorisation de ces soldes : négocier avec ses banques pour obtenir des intérêts sur les dépôts à vue, ou bien mettre en place des placements de trésorerie courts terme plus rémunérateurs, en tenant compte des contraintes de sécurité et de liquidité.
Vous l’aurez compris, la démarche gagnante est holistique. Plutôt que de traiter chaque sujet en silo (d’un côté les frais de transactions, de l’autre les changes, plus loin la trésorerie excédentaire), il faut les envisager ensemble. Ces leviers d’optimisation se renforcent mutuellement. D’ailleurs, les résultats parlent d’eux-mêmes : dans un cas récent, la seule renégociation de la grille tarifaire cash management offrait déjà un beau potentiel d’économie. Mais en y intégrant en plus les frais de change puis la rémunération des dépôts, l’économie totale potentielle a quintuplé. Chez ce client du secteur de l’assurance, nous avions modélisé trois scénarios : renégociation des frais cash management seuls, à laquelle s’ajoutait ensuite l’optimisation des coûts FX, puis un dernier scénario englobant en plus une négociation des intérêts sur soldes excédentaires. Chaque trajectoire apportait un gain significatif, mais l’approche globale a permis de maximiser la valeur pour le client. À l’arrivée, ce grand groupe d’assurance – qui payait annuellement 1,07 M€ de frais cash management sur cinq pays – a vu son poste de coûts se transformer en source de revenus (0,56 M€), tout en respectant sa stratégie de relations bancaires. C’est bien la preuve qu’une vision étendue et structurée de l’optimisation porte ses fruits.
Graphique – Exemple de renégociation holistique des frais de cash management / Secteur : Assurances
Scénario A : renégociation de la grille tarifaire
Scénario B : intégration des problématiques FX
Scénario C : approche holistique intégrant la rémunération des soldes à vue
Source : Redbridge – Conseil en Cash Management, Septembre 2025
Pour aller plus loin – Lire notre article
L’enjeu des comptes ségrégués dans l’optimisation des frais bancaires
Dans les secteurs de l’assurance, de la construction/BTP et de l’immobilier, le métier de trésorier revêt une série de spécificités qui rendent l’optimisation des services et frais de cash management plus complexe. Pour Lucie Kunesova, ces spécificités ne sont pas un handicap mais, au contraire, reflètent un potentiel accru d’économies à faire sur le cash management…