Pour Olivier Talvard, senior director chez Redbridge, l’amélioration du besoin en fonds de roulement (BFR) passe par une action exécutée avec discernement pour atteindre ses buts tout en préservant l’écosystème client-fournisseurs.

Quand les entreprises gèrent la croissance, que les taux sont bas, que pour certains la trésorerie négative rapporte de l’argent et que les risques sont globalement à peu près stables, le BFR est un sujet mais c’est rarement la priorité numéro 1. C’est usuellement un sujet d’attention plus ou moins permanente, plus ou moins continue, selon quantité de facteurs internes à l’entreprise.

Mais c’était avant.

La crise a replacé la gestion du besoin en fonds de roulement (BFR) au cœur des priorités de la direction financière. Il ne s’agit plus de satisfaire l’analyste actions ou l’agence de notation, mais d’assurer la survie de l’entreprise à très court terme ou à court terme.

A l’échelle mondiale, le BFR net représentait en 2018 plus de 4.000 milliards d’euros et plus de 47 jours de chiffre d’affaires en moyenne. Ces chiffres ont globalement progressé depuis 2014. En France, le crédit inter-entreprises, qui représente en temps normal 700 milliards d’euros, a bondi de 100 milliards supplémentaires depuis le début du confinement.

Parmi les trois composantes qui définissent ce BFR, les créances, qu’il faut se faire payer, et les factures, qu’il faut honorer, sont sans doute les éléments sur lesquels l’entreprise peut le mieux agir.

La tâche est délicate. Elle touche directement la relation clients et l’écosystème fournisseurs, deux éléments patiemment construits dans la durée. Il faut être conciliants, comprendre les demandes d’aménagement, les apprécier avec discernement. Evidemment, cette politique de préservation des relations sur le long terme, vient dégrader à court terme le BFR. Mais ne sont visés là que les clients ou les fournisseurs durement affectés.

Dans le contexte actuel, les clients de type entités publiques ou privées relativement liquides, éloignées de problématiques de covenants, voire portées par la crise sanitaire, doivent être la cible des efforts de recouvrement. Au besoin, les comités et autre instances de surveillance de crise installés par les Etats et les organisations socio-professionnelles face aux mauvais payeurs seront là pour épauler l’entreprise.

Au plan opérationnel, l’entreprise doit renforcer encore les indicateurs clés mesurant la performance de la facturation et des actions de recouvrement. L’acte de facturation est parfois complexe dans certaines industries, et la période d’accalmie forcée de la production peut être justement l’occasion d’améliorer ce maillon clé du processus Invoice to Cash. Cette période peut aussi être l’occasion de prendre le temps nécessaire pour travailler les retards clients historiques et assainir progressivement une balance âgée réputée structurellement déséquilibrée. Et ainsi viser de redémarrer sur des bases plus normatives. Ce serait en tout cas un scénario idéal.

La gestion des créances et du poste client est à mener en lien, plus étroit aujourd’hui qu’hier, avec les équipes commerciales. Trésoriers et Credit Managers peuvent obtenir des informations utiles auprès des commerciaux, mieux comprendre les blocages. Inversement, les forces commerciales apprécieront d’être rassurées que tel ou tel client important, ou potentiellement important, dispose de limites de crédit internes adaptées au projet en cours de négociation.

Coté « Accounts Payable », une entreprise peut aussi être en situation de payer trop tôt certains fournisseurs. Cela peut découler d’habitudes ou d’interprétations au niveau des opérationnels qui prive l’entreprise de 100 % de la ressource financière en lien avec lesdits fournisseurs. Il est donc utile de passer en revue tous les termes de paiement fournisseurs appliqués dans les faits (« à quelle date ai-je effectivement payé le Fournisseur F » / « à quelle date aurais-je pu légalement le payer ? ») et de s’assurer de ne pas perdre de délai, ne serait-ce un jour. S’il convient en effet de respecter les usances fournisseurs applicables, il convient aussi de ne pas de faire de zèle inconsciemment.

Il est également important d’examiner le cycle de réception des factures fournisseurs. Chez certains fournisseurs, ce cycle est plus ou moins figé (édition des factures majoritairement entre le 20 et le 30 du mois, majoritairement au fil de l’eau, etc.). Aussi est-il judicieux d’opter en retour pour des termes de règlement qui soient plus favorables à la trésorerie de l’entreprise (tout en restant respectueux du cadre légal). A titre d’illustration, en France, les termes admis sont « 60 jours nets », « 45 jours, fin de mois » ou « fin de mois, 45 jours ». Ainsi une entreprise en France, qui recevrait massivement ses factures en deuxième quinzaine de mois M paiera, en choisissant d’appliquer « 45 jours fin de mois, le 30 du mois M+2 ; ce serait le 15 du mois M+2 en appliquant fin de mois 45 jours … Et il est hautement probable que les fournisseurs ainsi concernés ne réviseront pas pour autant ledit cycle de facturation auprès de cette entreprise (ou qu’ils soient trop peu nombreux à le faire pour ôter l’intérêt Cash d’un tel arbitrage).

Enfin, bien sûr, en matière d’accounts payables, une négociation pour une extension des termes de paiement (15, 30, 45 jours de plus) doit être déclenchée et obtenue auprès du plus grand nombre de fournisseurs dont la masse achats annuelle est importante.

Ces actions visent directement le BFR intrinsèque, naturel, de l’entreprise, avant toutes transactions financières sur les éléments sous-jacents : factures émises / factures reçues. Or, ces transactions sont nombreuses et puissantes, et peuvent à minima soutenir un BFR qui se tend, voire neutraliser comptablement sa dégradation.

L’heure n’est pas à décrire la multitude de ces montages mais il est probable qu’ils puissent se développer car s’adosser (économiquement ou juridiquement) à des factures présente l’avantage de mitiger le risque du prêteur, ce qui est porteur en période d’intensification des risques.

Au premier chef de ces opérations, la mobilisation pro-active des créances commerciales dans le cadre de programmes d’affacturage ou de programmes de titrisation.

Avec une dégradation des paiements (ponctualité, risque débiteurs, agréments en baisse) et une hausse prévisible des provisions combinée à une baisse des revenus (directement liée aux baisses de facturation de leurs clients), les factors et banques de programmes de titrisation sont confrontés à une équation compliquée.

Pourtant, les entreprises remontent que les professionnels de l’affacturage sont bienveillants sur maintes demandes depuis mars, à savoir, pêle-mêle :

– extension des délais de définancement pour épouser les retards

– baisse du fonds de garantie pour améliorer l’efficience du programme

– acceptation de nouveaux débiteurs pour compenser les baisses de facturation

– acceptation de factures courtes, sachant qu’une facture à courte maturité risque de ne pas être si …courte

– validation beaucoup plus rapides des cessions de balances

Tous ces assouplissements ou traitement plus efficaces, bien reçus et bien traités par les cessionnaires (avec qui un dialogue continue et de transparence s’impose) conduisent à compenser, du moins en partie, les baisses extraordinaires de facturation et de cession.

Pris par l’urgence, ces avancées peuvent dans de nombreux cas avoir un caractère oral et il est recommandé de les sécuriser par avenant dès que possible.

Enfin, en ce qui concerne les programmes de titrisation, l’un des premiers sujets à court terme, concerne les adaptations légitimes à solliciter au niveau des commissions de non utilisation, dont la base de calcul (la dimension du programme) est devenue bien éloignée de la capacité d’apport financier du programme…

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