Les experts monétique de Redbridge, Chaira Mekkaoui et Gabriel Lucas, décryptent les récents succès tricolores de Visa et Mastercard, qui signifient pour les commerçants une hausse des frais monétiques, une augmentation des chargesbacks et une baisse du taux d’acceptation des transactions. Où trouver la parade ?

Les gains de parts de marché de Visa et Mastercard en France, au détriment du réseau domestique Cartes Bancaires (CB), préoccupent les grandes enseignes. La SNCF, Système U et Auchan se sont récemment publiquement inquiétés de la hausse des coûts monétiques liée à cette progression des réseaux internationaux, qui ne résulte d’ailleurs pas forcément du choix des consommateurs.

En effet, les récents succès tricolores de Visa et Mastercard tiennent pour beaucoup à une stratégie fructueuse de partenariats avec les banques émettrices. Ainsi, afin de renforcer leur pouvoir de négociation et limiter dans le même temps leurs coûts informatiques, beaucoup de néo-banques ont fait le choix de commercialiser des cartes uniquement liées à l’un des deux réseaux internationaux. Dans le même temps, des groupes bancaires français de premier plan ont renforcé leurs partenariats avec les réseaux internationaux. Certains accords noués prévoient explicitement la réduction de la part des cartes co-badgées CB-Visa ou CB-Mastercard dans le parc des cartes émises. C’est notamment le choix fait par le groupe BPCE.

La réussite de la stratégie de partenariats de Visa et Mastercard a sans doute été facilitée par le fait que l’attention des commerçants était centrée sur la multiplication des moyens de paiements (ApplePay, Klarna, Oney, Paypal, Swile, etc.). Mais le succès de Visa, plus spécifiquement, tient également à un positionnement de plus en plus exigeant vis-à-vis des commerçants en matière de « conformité » sur le sujet du choix de la marque devant être proposé au consommateur au moment de procéder à un paiement en ligne. Visa mène activement une campagne d’audit des parcours de paiement en ligne des commerçants. Le réseau n’hésite pas à brandir la menace d’amendes élevées pour imposer son interprétation des règles du jeu.

La bataille porte notamment sur le Règlement (UE) 2015/751. Ce texte impose aux commerçants de donner aux clients la possibilité de choisir le réseau de carte qui traitera le paiement. Il prévoit toutefois que le commerçant puisse opérer la sélection d’une marque par défaut, ce qui n’est pas à l’avantage de Visa qui pratique des niveaux de commissions plus élevés. Aussi Visa négocie-t-il pied à pied afin que chaque site marchand présente de manière indifférenciée les différents réseaux de carte lors de l’opération de paiement.

En toute logique, les établissements acquéreurs devraient défendre l’intérêt et le droit de leurs clients commerçants à définir par défaut un réseau plus avantageux pour eux. Mais comment apprécier la capacité à faire front des acquéreurs détenus par un groupe bancaire affichant sa proximité avec les réseaux internationaux ?

Taux d’acceptation

Le développement de Visa/Mastercard ne se résume pas à une augmentation des frais monétiques pour les commerçants. Il s’accompagne d’une baisse du taux d’acceptation des transactions et d’une augmentation des chargebacks. En effet, les motifs pouvant justifier un chargeback sont limités uniquement aux cas de fraude au sein du réseau Cartes Bancaires, alors que Visa et Mastercard acceptent parfois aussi des litiges commerciaux (e.g., produit non reçu, produit non conforme…).

Dans ce contexte, comment les e-commerçants peuvent-il agir pour contrer la hausse des frais monétiques et des chargebacks ainsi que la baisse du taux d’acceptation ?

L’adoption de solutions de paiement émergentes, comme l’Open Banking, peut pallier en partie cette tendance défavorable. L’enjeu de l’Open Banking sera de proposer demain aux consommateurs une solution d’initiation de paiement par virement à la fois aussi fluide qu’un paiement par carte et moins coûteuse. Si pour l’heure, l’initiation de virement manque encore de maturité et d’homogénéité, plusieurs banques ne supportant pas cette solution, il reviendra au volet consacré à l’Open Finance de la prochaine réglementation DSP3 de solutionner les problèmes.

En conclusion, la hausse des parts de marché de Visa et Mastercard face au réseau domestique Cartes Bancaires (CB) soulève plusieurs questions pour les commerçants :

  • Comment affiner l’interprétation du Règlement (UE) 2015/751 pour la rendre plus précise et claire pour l’ensemble des acteurs du paiement ? Quelles sont les limites de l’interprétation actuelle du règlement faite par les réseaux de paiement tels que Visa ?
  • Pourquoi les banques françaises ont-elles tendance à investir de plus en plus dans les solutions Visa/Mastercard plutôt que dans les solutions proposées par Cartes Bancaires ? Est-ce dû à la puissance des deux réseaux internationaux ou plutôt à la faute du réseau CB ?
  • Comment l’European Payment Initiative (EPI) s’inscrit dans ce contexte ? Par quels aspects pourra-t-elle bénéficier aux commerçants ?
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