Simon Berta, associate chez Redbridge, détaille les différents impacts du remplacement du LIBOR dans les facilités de crédit, qu’il s’agisse de facilités de crédit existantes avec des échéances s’étendant sur 2021 et au-delà, ou de nouvelles facilités qui seront mises en place cette année.

Vous en avez certainement entendu parler, 2021 est la dernière année où le LIBOR peut être utilisé en référence dans les contrats de crédits aux entreprises. C’est ce que recommande depuis plusieurs années déjà la Financial Conduct Authority (FCA) en charge de la régulation du LIBOR et qui a été officiellement annoncé en juillet 2017. Etant donné la diffusion mondiale des taux LIBOR, cette décision a un impact considérable sur l’industrie financière. En 2020, la valeur totale des contrats indexés sur le LIBOR s’élevait à USD 400 000 milliards, dont 12 000 milliards concernaient les crédits syndiqués.

L’objet de cet article n’est pas d’explorer les raisons qui sous-tendent la recommandation d’abandonner la référence au LIBOR, mais plutôt de détailler les différents impacts de ce remplacement dans les facilités de crédit, à la fois pour les crédits existants et ceux qui seront mis en place cette année.

S’il a été confirmé que le LIBOR cessera d’être publié à la fin de l’année 2021, il ne sera déjà plus possible de signer cette année de nouveaux contrats de crédit basés sur le LIBOR. Le calendrier exact dépend toutefois de la devise concernée, le LIBOR étant actuellement décliné sur cinq devises internationales (USD, GBP, EUR, CHF et JPY).

Voici un aperçu de la situation.

 

Remplacement du LIBOR par des « near Risk Free Rates » (« RFR »)

Pour chacune des cinq devises concernées par la fin du LIBOR, des groupes de travail ont été mis en place pour identifier et proposer des recommandations sur le taux de remplacement le plus approprié. L’objectif était notamment d’identifier un taux sans risque, basé sur un marché interbancaire overnight actif et liquide.

GBP : Le Groupe de travail destiné au remplacement du GBP LIBOR (« RFRWG ») a été mis en place par la Banque d’Angleterre en 2015 pour identifier des alternatives. En 2017, le SONIA (Sterling Overnight Index Average) a été désigné comme le remplaçant le plus approprié. Introduit pour la première fois en 1997, actuellement environ GBP 30 000 milliards d’actifs utilisent le SONIA comme référence. Il est le taux de référence des transactions overnight non garanties.

USD : Anticipant l’arrêt du LIBOR, la Réserve fédérale a monté en 2014 un groupe de travail composé des principaux acteurs du marché pour identifier un taux de référence alternatif. Ce groupe, l’Alternative Reference Rates Committee (ARRC), a proposé en juin 2017 d’utiliser le Secured Overnight Financing Rate (« SOFR ») comme alternative au LIBOR USD. Contrairement au SONIA, le SOFR est basé sur des opérations repos overnight, et sont donc garanties. Plus récent, sa mise en place remonte à avril 2018.

CHF : Le groupe de travail national suisse (NWG) a recommandé en octobre 2017 d’utiliser le Swiss Average Rate Overnight (« SARON ») comme alternative au LIBOR CHF. Il représente le taux d’intérêt overnight garanti sur le marché monétaire, et a déjà commencé à être inclus dans les accords de facilités syndiquées suisses en 2020.

 

Calendrier et processus de remplacement

En ce qui concerne le calendrier de transition du LIBOR GBP, la BoE et la FCA recommandent toutes deux de cesser les nouvelles émissions de crédits basés sur le LIBOR GBP dès la fin du premier trimestre 2021. Cela signifie qu’à partir d’avril 2021, les contrats de crédit utiliseront des méthodes alternatives d’indexation des taux, le principal scénario étant l’indexation sur le SONIA. Les banques peuvent également proposer d’intégrer dans les contrats de crédits une définition basée sur leur coût de liquidité (« Cost of Funds » provision).

L’ARRC, quant à elle, propose une approche légèrement différente et recommande de cesser la mise en place de nouveaux accords de crédit basés sur le LIBOR USD d’ici le 30 juin 2021. Récemment, il a cependant été annoncé que le LIBOR USD continuerait d’être publié jusqu’en juin 2023 (sauf pour les maturités d’une semaine et de deux mois), ce qui laisse plus de temps pour la transition des crédits existants. En ligne avec le calendrier du LIBOR GBP, le LIBOR CHF sera également supprimé d’ici la fin 2021. Par conséquent, le NWG suisse recommande qu’aucun nouveau contrat ne fasse référence au LIBOR CHF après la fin juin 2021.

 

En ce qui concerne les contrats de crédit existants indexés au LIBOR et sans clause de transition (« Legacy LIBOR Loans »), plusieurs options s’offrent aux emprunteurs :

– Dans le cas où la transition n’a pas été anticipée avant la fin de 2021, un amendement sera alors nécessaire pour documenter la transition du taux de référence. Il est à noter que cet amendement nécessitera très probablement l’approbation de l’unanimité des prêteurs, ce qui conduira certainement à un résultat sous-optimal pour l’emprunteur compte tenu des délais serrés.

– Certaines banques pourraient envisager l’insertion d’une disposition Cost of Funds pour remplacer le LIBOR. Cette alternative, moins avantageuse pour les Emprunteurs, est basée sur le coût de liquidité déclaré par les prêteurs, ce qui leur confère une certaine discrétion, par opposition à un taux fondé uniquement sur les transactions réelles comme un RFR.

– Pour éviter ces situations, il est fortement recommandé d’amender le contrat de crédit existant avant la date de cessation du LIBOR afin d’anticiper les conditions dans lesquelles la transition sera effectivement réalisée. Les crédits existants peuvent déjà être modifiés pour calculer le taux d’intérêts par référence à un RFR, supprimant ainsi les dispositions faisant référence au LIBOR. Il cependant préférable pour le moment d’amender les documentations de crédit afin de faciliter la transition une fois le LIBOR effectivement disparu. Cela permet à ces crédits de continuer à utiliser le LIBOR tout en prévoyant une transition lisse.

 

Aperçu des clauses de fallback

La plupart des contrats de crédit signés après 2018 comprennent déjà une disposition de « Remplacement du Taux Ecran », basée sur la publication de la Loan Market Association (LMA). Cependant des mécanismes plus sophistiqués ont été élaborés depuis lors et commencent à être inclus dans les contrats de crédit :

– Le « Hard-Wired Switch » qui permet de passer du LIBOR à un taux basé sur les RFR à une date ultérieure spécifiée avant la cessation du LIBOR. Cette disposition a été incluse dans le draft LMA de septembre 2020 ;

– Le « Hard-Wired Fallback » est un mécanisme qui permet une transition automatique liée à l’occurrence d’événements spécifiques relatifs à la cessation ou conduisant à cette cessation du LIBOR, sans le lier à une date future spécifique. L’ARRC a recommandé en juin 2020 l’utilisation de ce mécanisme pour les nouveaux crédits LIBOR USD. L’adoption de cette disposition reste cependant plus limitée en Europe ;

– Conformément à la disposition de la LMA de 2018 relative au remplacement du taux écran, la transition peut également être abordée par le biais d’une approche d’amendement, qui a été la solution privilégiée jusqu’à présent. Moins complexe que les clauses Hard-Wired, cette solution permet une plus grande souplesse dans le choix du taux de référence. Le remplacement du LIBOR par un RFR n’est dans ce cas pas automatique, l’objectif de la clause est de définir un processus d’amendement simplifié (avec l’approbation de la majorité des prêteurs) en cas de cessation du LIBOR.

 

Remplacement effectif du LIBOR dans le calcul des intérêts

L’une des principales différences entre le LIBOR et les RFR réside dans leur maturité. Le LIBOR comprend un élément de terme, d’overnight à 12 mois, contrairement aux RFR qui sont des taux d’emprunt overnight, sans structure à terme. Ils ne peuvent donc qu’être calculés par référence aux données historiques des transactions, avec une approche rétrospective, « backward-looking ».

Les différents régulateurs des RFR ont commencé à publier des RFR moyens composés rétrospectivement sur les périodes d’intérêt les plus couramment utilisées (1, 3 et 6 mois). Cette approche pose notamment le problème suivant : les RFR ne sont pas publiés les jours non ouvrables, ce qui entraîne une différence entre la période d’intérêt et la période d’observation des RFR, utilisée pour le calcul de ces moyennes.

Plusieurs méthodes de calcul des RFR composés ont été étudiées afin de répondre à ce problème. Plutôt que de plonger dans les subtilités de ces calculs, il est important de souligner qu’il n’existe pas de standard de marché ni même de consensus pour une méthode de calcul unique à ce stade. Certains acteurs du marché ont même préconisé la mise en place de RFR composites à terme, « forward-looking » plutôt que des RFR moyens « backward-looking ». Dérivés des contrats futures, ceux-ci pourraient être fixés au début d’une période d’intérêt comme pour le LIBOR. Les groupes de travail sont actuellement plutôt opposés à cette approche concernant les crédits aux entreprises, car ces RFR à terme ne sont pas facilement disponibles et perdraient en partie leur raison d’être, qui est de se baser uniquement sur les transactions overnight

Une autre différence majeure réside dans le fait que les RFR n’incluent pas d’éléments de risque de crédit, contrairement au LIBOR, ce qui entraîne un pricing gap entre les deux. Par conséquent, un ajustement de crédit doit être inclus pour couvrir ce pricing gap. La méthode de calcul de cet ajustement a déjà été définie pour les produits dérivés par l’ISDA : la différence moyenne médiane entre les deux taux sur 5 ans. Cet écart est calculé et publié par Bloomberg, avec pour but d’être fixé à l’occurrence d’un événement de cessation pour les contrats comprenant une clause de Fallback. L’ARRC et le RFRWG ont déjà recommandé cette méthode de calcul. Cependant, si un contrat de crédit est modifié avant un événement de cessation, l’ajustement de l’écart devra très probablement être inclus manuellement dans la documentation (par opposition à un ajustement automatique dans le cas des clauses de fallback). Bloomberg calcule déjà à titre indicatif cet ajustement sur la base de la méthodologie de l’ISDA, afin qu’ils puissent être fixés à la date de l’amendement. Au 8 février par exemple, les écarts indicatifs pour remplacer les LIBOR à 3 mois étaient de 0,3 bps pour le SARON, 12 bps pour le SONIA et 26 bps pour le SOFR.

Qu’en est-il de l’EURIBOR ?

Actuellement, la grande majorité des prêts libellés en euros sont basés sur l’EURIBOR et ne sont donc pas touchés par la fin du LIBOR. L’EONIA est déjà remplacé par l’€STR avec une date limite de transition en janvier 2022, et bien qu’un groupe de travail soit actuellement en train d’identifier un éventuel remplacement de l’EURIBOR par un RFR, aucune cessation n’est prévu dans un avenir proche. Certains contrats de crédit peuvent toutefois inclure une disposition visant à modifier le taux de référence avec une majorité qualifiée de prêteurs afin de faciliter une éventuelle transition.

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