Invité d’un atelier animé par la commission normes comptables internationales de l’AFTE, Emmanuel Rapin, directeur de la trésorerie et du financement de Lagardère, a insisté sur les possibles changements de la dette et du levier des entreprises découlant des futures règles IFRS de comptabilisation des contrats de locations.

– Quels sont les enjeux liés à la norme IFRS sur les contrats de location ?

– La nouvelle norme IFRS 16 sur les contrats de location a vocation à améliorer la connaissance des investisseurs relative aux engagements de la société. Elle s’appliquera au 1er janvier 2019 à toutes les locations d’une durée supérieure à douze mois d’un actif de valeur raisonnable (5.000 dollars ou 5.000 euros).

Cette norme devrait modifier la communication financière des entreprises concernées, avec des impacts significatifs sur le bilan, le compte de résultat, la « dette » et les indicateurs de gestion traditionnellement suivis par les prêteurs et les analystes. C’est un sujet important qui nécessite une coordination étroite entre la direction comptable, la direction des achats et la trésorerie. Une grande masse d’informations, au caractère rétroactif de surcroît, doit être captée. Il faut par exemple retrouver pour chaque contrat de location la date de souscription, la durée, le loyer, le mode d’indexation des loyers, ainsi que l’existence d’une option de renouvellement.

– Pourquoi la norme constitue un évènement significatif ?

– Prenons l’exemple simple d’une location à loyer fixe, présentée selon les règles actuelles en hors bilan. A partir de 2019, cette location sera représentée à l’actif par un droit d’utilisation et au passif par une dette de location. Le bilan de l’entreprise, ainsi que le niveau « d’endettement » vont s’accroître en conséquence.

Le compte de résultat va être allégé du « loyer simple » mais supporter les amortissements de l’actif comptabilisé et enregistrer une charge financière à un taux correspondant peu ou prou au coût moyen de la dette du groupe au jour de la conclusion du contrat.

Si l’EBITDA et EBIT s’améliorent du fait de la nouvelle norme, la variation du résultat net dépendra de l’évolution de la charge financière issue de la dette de location, qui n’est pas constante pendant la durée du contrat. Le P&L devient alors plus volatil. De plus, l’amortissement progressif de la dette de location va induire des frais financiers dégressifs, ce qui va dans un premier temps générer des impôts différés actifs, qui seront rattrapés dans un second temps. Pour la plupart des trésoriers habitués aux financements in fine, où les frais financiers sont définis, cela constitue une grande nouveauté ! Dans le tableau de flux de trésorerie, la variation de trésorerie reste la même, mais les agrégats intermédiaires sont durablement modifiés, en particulier pour les annuités de remboursement de la dette de location.

Ceci pourrait conduire à une importante modification des indicateurs de gestion financière : dette nette / ebitda, ratio de couverture des frais financiers, coût moyen de la dette (à exprimer sur un périmètre hors location et avec location pour plus de lisibilité ?). Idem pour le calcul de la durée moyenne de la dette, ainsi que pour l’échéancier de la dette, sans parler des indicateurs du type  décomposition de la dette en fixe-variable, par devise, etc.

– Comment se préparer à l’entrée en vigueur d’IFRS 16 ?

– Il y a un processus à construire. Le premier chantier consiste à collecter l’information des contrats de locations immobilières et d’équipements, et de convertir en flux de loyer les informations contenues dans les contrats. Au sein du groupe Lagardère, ce recensement a pris cinq mois et concerné 3.600 contrats, pour l’essentiel des concessions dans les gares et les aéroports ou des m2 de bureaux.

Il faut retrouver les montants des loyers, les devises, les calendriers, le point de départ du contrat de location et les variables d’indexation. Il faut également demander aux opérationnels, en prévision de l’audit des comptes, s’il est probable que le contrat de location soit prorogé pour déterminer sa durée. Par ailleurs, la trésorerie a pour tâche de déterminer le taux de charge financière de chaque contrat, ce qui revient à construire autant de courbes de taux.

Enfin, une fois l’ensemble des contrats comptabilisés, il faut les suivre et remonter dans le temps pour mener une comparaison, sur l’exercice 2018 notamment. Pour mener à bien ces tâches, l’achat ou l’accès à un outil informatique s’impose, ce qui ajoute un projet système d’informations à un projet comptable déjà conséquent.

– Que raconter à ses prêteurs ?

– L’Autorité des marchés financiers (AMF) souhaite connaître le niveau de préparation à IFRS 16 dès la clôture de l’exercice 2017. Des tendances chiffrées seront à fournir en annexe des comptes 2018. Globalement, il apparaît indispensable d’expliquer de manière détaillée dans les documents de référence l’impact de l’entrée en vigueur des nouvelles règles comptables sur les contrats de locations.

Pour un groupe comme Lagardère, l’entrée en vigueur d’IFRS 16 devrait dans le même temps modifier favorablement l’EBITDA et créer une dette de location conséquente. Il y a un travail communication à mener auprès des prêteurs et des analystes de crédit / d’equity, voire des agences de notation – pour les entreprises notées – afin d’expliquer ces variations significatives et de continuer à se comprendre ! Il faudra notamment voir ensemble les impacts du temps sur un portefeuille de locations, et les effets de renouvellement des contrats sur le bilan et le compte de résultat.

Vos questions et réactions sont les bienvenues dans le cadre de la commission normes de l’AFTE, qui est aussi en lien avec l’Association des Professionnels et Directeurs Comptabilité et gestion (ADPC) sur ce sujet.

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