Crédit photo : Charles de Toirac
Que peuvent attendre les trésoriers de l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA), qui coordonne l’action des régulateurs européens sur les sujets d’intérêt pour la profession comme l’Union de l’épargne et de l’investissement, la directive CSRD et Omnibus, le règlement EMIR sur les dérivés, MiCA, ou encore les stablecoins ? Lors des dernières Journées de l’AFTE, la directrice générale de l’ESMA, Natacha Cazenave, a fait un point complet.
L’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) a pour mission coordonner l’application des directives et règlements européens dans le domaine financier. Cette organisation, basée à Paris, a dans son champ de compétences une trentaine de textes dont plusieurs concernent directement les trésoriers sur les sujets de notation de crédit, de distribution des produits financiers et de régulations post marché. « Ce que vous pouvez attendre de nous ? Une autorité ouverte, pragmatique, à l’écoute des préoccupations, qui essaie de faire des règles claires qui vous permettent de conquérir des marchés », a lancé la directrice générale de l’ESMA, Natasha Cazenave, aux trésoriers participants aux dernières Journées de l’AFTE.
CSRD et Omnibus
Sur la CSRD et la directive Omnibus, la directrice générale a rappelé un point de principe : « La supervision du reporting de durabilité reste du ressort du superviseur national. » L’ESMA réunit ces superviseurs pour harmoniser l’application des reportings de durabilité, afin de parvenir à « une compréhension identique et une comparabilité pour les investisseurs ». Dit autrement, l’ESMA œuvre à faire converger les pratiques nationales pour que les informations en matière de reporting ESG publiées soient lisibles et comparables d’un marché à l’autre. Natasha Cazenave estime que les critiques des entreprises sur le sujet ont été entendues. « Il y a eu une remontée des professionnels pour dire “c’est trop”. » C’est dans ce contexte que « la directive Omnibus aura vocation à simplifier le reporting », tout en veillant à ce qu’il reste « cohérent avec ce que les autres acteurs, notamment les prêteurs bancaires ou investisseurs de marchés, ont besoin pour produire leurs reportings réglementaires ». L’objectif affiché est clair : avoir « une cohérence entre les textes », plutôt que des couches successives d’exigences qui se superposent sans articulation.
Sur la finance durable, l’Europe se réjouit d’avoir une forme de leadership. La valeur des obligations ESG s’élève à 2400 milliards d’euros, dont deux tiers en obligations vertes. C’est, selon Natasha Cazenave, « un marché qui fonctionne bien et est en train de se développer ». Le 21 décembre 2024, un nouveau règlement qui fonde un label de marché volontaire, pour les fonds qui ont 85 % d’actifs conformes à la taxonomie a été promulgué. Dans ce nouveau cadre, qui entrera en vigueur en 2026, l’ESMA sera responsable de superviser ces acteurs. « Plus d’une trentaine ont manifesté leur intérêt pour être soumis au nouveau régime qui entrera en vigueur l’année prochaine ».
Sur les données ESG, l’ESMA précise la ligne de partage retenue par les régulateurs : « Décision de ne pas réguler les fournisseurs de données ESG car il n’y a pas d’uniformité en la matière. » En revanche, les agences de notation ESG seront supervisées par l’ESMA. La frontière est donc tracée entre des agrégateurs de données très hétérogènes et des agences de notation dont l’influence sur les décisions d’investissement justifie un encadrement spécifique.
Abordant la digitalisation, les cryptoactifs, les stablecoins et la tokenisation des actifs, Natasha Cazenave constate que « l’innovation, leur foisonnement et la célérité de leur développement a de quoi surprendre ». Le règlement MiCA, qui développe un cadre réglementaire pour ces nouveaux actifs, « a été scruté par les régulateurs américains, britanniques et en Asie, car il s’agit d’une première tentative mondiale de poser un cadre qui régule tout en soutenant l’innovation ». Ce cadre se décline en trois niveau et l’ESMA indique désormais travailler sur l’agrément des acteurs. « Nous réunissons les autorités nationales pour qu’une réponse homogène soit donnée dans chaque Etats membres en matière d’agrément ».
Sur les stablecoins, Natasha Cazenave replace les choses en perspective : « le montant au global est très modeste par rapport au système financier, de l’ordre de 250 milliards de dollars ». Elle pose alors la question stratégique : « Comment l’Europe veut elle fonctionner ? ». L’ESMA apporte son soutien aux stablecoins euro. « Les tokens fongibles entre différentes juridictions posent question et nécessitent un approfondissement ».
Enfin, à propos de la tokenisation, l’ESMA reconnait la simplification et les cas d’usage bénéfiques de cette technologie dans des domaines aussi variés que post marché, l’accès aux actions à travers des dérivés, etc. « Nous cherchons à comprendre l’innovation, regarder là où elle peut soutenir la compétitivité et mettre des garde fous lorsqu’elle comporte des risques pour les investisseurs. » Autrement dit, accompagner les cas d’usage utiles, tout en encadrant les risques là où ils se manifestent.
Souveraineté
Alors que les questions de souveraineté sont au cœur des débats d’actualité, l’ESMA indique œuvrer à l’autonomie et l’efficacité des marchés européens. En ligne de mire, « le financement des priorités telles que la transition digitale, la défense et l’environnement qui constituent la feuille de route stratégique de l’Europe ». C’est pourquoi la Commission a lancé en 2015 l’Union des marchés financiers, dont la progression est souvent jugée lente mais demeure bien réelle pour connecter l’épargne des européens aux besoins d’investissement. Interogée sur une déclaration de Christine Lagarde, qui avait appelé de ses vœux l’émergence d’une « SEC européenne » en la personne de l’ESMA, la directrice générale reconnaît le caractère flatteur de la comparaison, tout en rappelant que les marchés américain et européen diffèrent profondément.
D’un côté, un État fédéral doté d’une architecture institutionnelle unifiée ; de l’autre, vingt-sept États membres qui doivent construire un projet commun et partager des compétences en matière de régulation financière. Natasha Cazenave insiste sur la nécessité de conserver ce modèle proprement européen, adapté à cette réalité. « Malgré des divergences culturelles, historiques et linguistiques très fortes entre États membres, les autorités de régulation nationales apprennent et réussissent à construire ensemble. Ce travail collectif est porté par la volonté de contribuer à l’intérêt général. » Et de rappeler en conclusion la devise de l’Union : « Unis dans la diversité ».