Cet article a également été publié dans La Lettre du Trésorier du mois de mars 2025.   Force est de constater que l’affacturage inversé (reverse factoring) n’a pas décollé en France. Si en 2023, le volume des créances mobilisées a atteint 427 milliards d’euros, l’affacturage inversé n’a contribué qu’à hauteur d’à peine 3 % à la production totale et stagne en volume depuis 2020, selon l’Association des sociétés financières.

Il semble que tout soit réuni pour que cette situation perdure, à moins que les freins structurels au développement du reverse factoring ne soient levés, ce qui est souhaitable car les bénéfices pour les grandes entreprises et leurs fournisseurs sont significatifs.

La mise en œuvre d’un programme exige d’énormes efforts de la part du donneur d’ordres : une communication intra-métier approfondie, un travail de pédagogie auprès des équipes internes, une adaptation des systèmes d’information, un soutien actif au plus haut niveau, et une sélection rigoureuse des partenaires financiers. A cela s’en ajoutent d’autres, immenses, pour susciter l’adhésion des fournisseurs, puis leur participation active et croissante dans le temps.

Mais ces défis opérationnels ne sont qu’une partie du problème. Des obstacles plus fondamentaux entravent l’adoption de ces dispositifs. En France, plus grand marché européen de l’affacturage et deuxième mondial après la Chine, les leaders du secteur ne cherchent pas à promouvoir le reverse factoring.

En 2023, les sociétés d’affacturage françaises ont enregistré un produit net bancaire de 1,24 milliard d’euros et réalisé un résultat net agrégé de 379 millions d’euros. Cette rentabilité exceptionnelle, supérieure à 30 %, est paradoxalement un frein au développement de l’affacturage inversé.

Les factors n’ont pas intérêt à promouvoir tels montages, si ce n’est pour répondre à la demande d’un client donneur d’ordres. L’affacturage est une activité parfaitement rôdée, optimisée, au coût du risque limité, à la faible consommation de fonds propres, et qui concerne quelque 30 000 entreprises en France. Un projet d’affacturage inversé n’a pas ces attributs, en premier lieu à cause du rôle central joué par le donneur d’ordres.

En conséquence, les acteurs français n’ont guère fait la promotion sincère de ce dispositif auprès des grandes entreprises. Ils n’ont pas suffisamment investi depuis une décennie en comparaison de leurs homologues anglais, espagnols et américains notamment, ou de nombreuses fintechs européennes ou américaines.

Optimiser le BFR ? pas le bon objectif

Dans l’immense majorité des cas, le leitmotiv d’un acheteur à l’origine d’un programme consiste à créer les conditions permettant d’améliorer ses termes de paiement fournisseurs, cela selon différentes modalités. Le donneur d’ordres peut par exemple négocier avec ses fournisseurs des termes allongés en échange de la mise à disposition de son programme d’affacturage inversé, qui neutralise lesdits termes pour le fournisseur, payé par anticipation.

Il peut aussi faire l’impasse sur les termes de paiement, mais dans ce cas, le débit du donneur d’ordres est décalé : le financeur du programme supporte le décalage jusqu’au débit ainsi différé. Cet aménagement peut s’analyser comme une contrepartie offerte par le financeur en échange de son rôle dans le programme, ou, en somme, comme une rétrocession douce. Cet objectif purement financier d’amélioration du capital circulant, du cash, mais aussi de la dette nette et du levier financier, est légitime. Malheureusement, il est responsable de l’abandon de nombre de programmes.

Il peut s’avérer complexe de solliciter un allongement des délais de paiement auprès des fournisseurs : l’exercice peut être fastidieux, donc improbable, quand on en dénombre des milliers ; il peut être périlleux au regard de l’encadrement des délais de paiement ; ou tout simplement se heurter à la réticence des fournisseurs.

Et si le montage se borne à différer le remboursement du financeur – qui a donc payé le fournisseur – par le donneur d’ordres, il peut sembler délicat que l’encours supporté par le financeur continue d’être présenté comme une dette fournisseur. Une telle présentation nécessite de démontrer que la substance et les caractéristiques de cette dette ne sont pas modifiées.

Ce que l’affacturage permet dans un arrangement déconsolidant portant sur les receivables, de façon assez solide et pérenne, est certainement, à long terme, plus fragile s’agissant des payables en affacturage inversé. Viser l’amélioration du besoin en fonds de roulement de l’acheteur au moyen d’un programme requiert de déployer des moyens considérables pour susciter l’adhésion de toutes les parties, cela dans un contexte où le Financial Accounting Standards Board et l’International Accounting Standards Board ont durci les règles comptables en la matière.

Ce constat plaide en faveur d’un changement de paradigme où les entreprises seraient invitées à abandonner une logique exclusivement centrée sur l’optimisation du cash-flow pour adopter des ambitions plus responsables et durables.

Les bons objectifs à servir

En mettant à profit leur profil de crédit, les grandes entreprises peuvent offrir à leurs fournisseurs un accès à des financements plus avantageux et plus flexibles que ceux disponibles naturellement sur leur marché local. Ce soutien renforce la stabilité de l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement.

Un programme bien conçu peut être perçu comme une démarche responsable, contribuant à resserrer les liens entre l’entreprise et ses fournisseurs. Ce climat de confiance favorise un partenariat durable.

En offrant des conditions encore plus attrayantes aux fournisseurs qui s’engagent dans des initiatives ESG, les donneurs d’ordres peuvent aligner leurs programmes avec leurs engagements en matière de responsabilité sociale des entreprises tout en incitant leurs partenaires à adopter des pratiques plus responsables.

En dédiant le traitement des paiements à l’opérateur en charge du programme, ce dernier peut endosser une responsabilité plus forte dans les risques de piratage et de fraude des opérations.

Les délais d’approbation des factures fournisseurs varient considérablement selon les métiers et les organisations. Un programme d’affacturage inversé, dont la matière première est constituée des bons à payer, peut contribuer à améliorer ces processus au fil du temps.

De l’or entre les mains de la comptabilité

Seule la comptabilité fournisseurs du donneur d’ordres a connaissance des factures bonnes à payer à un instant t. Cette information vaut de l’or si elle est transmise à un tiers financier amené à payer par anticipation les fournisseurs, car le paiement s’effectue alors avec l’assurance que le donneur d’ordres paiera.

La quasi-totalité des programmes d’affacturage fonctionne sans approbation préliminaire du débiteur sur la facture achetée, son montant, sa devise, sa date de règlement.

Ce principe d’approbation des factures n’est donc pas un détail : dans le cadre de l’affacturage, le factor n’a aucune certitude sur le paiement à terme des factures cédées, tandis qu’en présence d’un affacturage inversé, tout paiement anticipé en faveur d’un fournisseur se fera en sachant au préalable que l’acheteur paiera à l’échéance.

Facilitateurs de succès

Un tel projet, parce qu’il est synonyme de changement, rencontrera toujours des obstacles. Mais quelques règles peuvent faciliter sa mise en œuvre.

L’objectif d’amélioration du besoin en fonds de roulement doit être écarté, même si les prestataires argumentent le contraire. En amont, le donneur d’ordres doit se demander pourquoi il est lui-même souvent peu enclin à participer à de tels programmes en sa qualité de fournisseur (prix peu attrayant, manque de temps, etc.).

Il faut viser des conditions de prix les plus compétitives possible pour les fournisseurs : l’écart entre les conditions usuellement payées par le fournisseur auprès de ses financeurs et celles payées au travers du programme qui lui est proposé peut être très significatif (plusieurs centaines de points de base).

Enfin, il faut porter une attention soutenue aux conditions d’adhésion, puis de participation. A ce titre, le modèle d’agent payeur basé non pas sur le principe de cession de créance, mais sur celui de transfert des droits de flux de trésorerie, mérite d’être investigué et pratiqué dans les périmètres où ce modèle est éprouvé.

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